Aller au contenu

Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps du lion tué par Samson et du taureau d’Aristée.

Aussi la théologie emprunta-t-elle ses cosmogonies aux mythes sacrificiels. Elle expliqua la création, comme l’imagination populaire expliquait la vie annuelle de la nature, par un sacrifice. Pour cela, elle reporta le sacrifice du dieu à l’origine du monde[1].

Dans la cosmogonie assyrienne, le sang de Tiamat vaincu avait donné naissance aux êtres. La séparation des éléments du chaos était conçue comme le sacrifice ou le suicide du démiurge. M. Gunkel[2] a prouvé, croyons-nous, que la même conception se retrouvait dans les croyances populaires des Hébreux. Elle apparaît dans la mythologie du Nord. Elle est aussi à la base du culte mithriaque. Les bas-reliefs veulent montrer la vie qui sort du taureau sacrifié ; déjà sa queue se termine par un bouquet d’épis. Dans l’Inde, enfin, la création continue des choses au moyen du rite finit même par devenir une création absolue, et ex nihilo. Au commencement rien n’était. Le Puruṣa désira. C’est par son suicide, par l’abandon de soi-même, par le renoncement à son corps, modèle, plus tard, du renoncement bouddhique, que le dieu fit l’existence des choses.

Toutefois même à ce degré d’héroïsation du sacrifice, sa périodicité subsiste. Les retours offensifs du chaos et du mal requièrent sans cesse de nouveaux sacrifices, créateurs et rédempteurs. Ainsi transformé et, pour ainsi dire, sublimé, le sacrifice a été conservé par la théologie chrétienne[3]. Son efficacité a été simplement transportée du monde physique au monde moral. Le sacrifice rédempteur du dieu se perpétue dans la messe journalière. Nous ne prétendons pas rechercher comment s’est constitué le

  1. Stucken, Astralmythen, II, p. 97. Talm. B., Gem. à Taanith, 4, 2. Le monde repose sur le sacrifice célébré dans le temple.
  2. Schöpfung und Chaos in Urzeit und Endzeit.
  3. Voir Vogt, Congrès international d’anthropologie et d’​archéologie préhistorique, Bologne, 1871, p. 325. Cf. Lusaulx, Die Sühnopfer der Griechen, etc. 1841.