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Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/85

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Le feu est un tueur de démons[1]. Ce n’est même pas assez dire : il est dieu, il est Agni sous sa forme complète[2]. De même, d’après certaines légendes bibliques anciennes, le feu du sacrifice n’est autre que la divinité elle-même qui dévore la victime ou, pour parler plus exactement, il est le signe de la consécration qui l’embrase[3]. Ce qu’a en lui de divin le feu du sacrifice hindou se communique donc à la place sacrificielle et la consacre[4]. Cet emplacement consistait en un espace rectangulaire assez vaste, appelé Vihâra[5].

À l’intérieur de cet espace s’en trouve un autre, appelé vedi, dont le caractère sacré est encore plus marqué ; c’est ce qui correspond à l’autel. La vedi occupe donc une situation encore plus centrale que les feux. Ceux-ci, en effet, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres

  1. C’est même l’une des épithètes les plus anciennes d’Agni. Voy. Bergaigne, Rel. Véd., II, p. 217.
  2. Voir avant dernière note.
  3. Lév. X, 2 ; Juges, VI, 11, sqq., sacrifice de Gédéon ; XIII, 19 sqq., Manoah ; I R. XVIII, 38, Élie ; I Chron. XXI, 26, etc. La préparation des feux tient une grande place dans les autres rituels. Sur la nécessité d’un feu pur, cf. Lév. X, 1. — Sur le renouvellement des feux au Mexique : Sahagun, Historia de las cosas de Nova España, II, p. 18 ; Chavero, Mexico à traves de los Siglos, I, p. 77 ; — à Lemnos : Philostrate, Heroïca, XIX, 14 ; — B. Corr. Hell., XVIII, 87 et 92 ; — en Irlande, Bertrand, Religion des Gaulois, p. 106. — Cf. Frazer, Gold. B., I, p. 76, p. 194. — Frazer, Pausanias, t. II, p. 392 : t. V, p. 521. — Sur ce rite dans les religions Indo-Européennes, V. Knauer, in Festgr. Roth, p. 64.
  4. Elle devient le « devayajana », la place du sacrifice aux dieux. Il faut voir dans les Brâhmaṇas les spéculations mystiques sur ce point. Le « devayajana », est le seul terrain ferme de la terre. Celle-ci n’est même là que pour servir de lieu de sacrifice aux dieux. Cette place est encore le point d’appui des dieux, leur citadelle, c’est de là que, prenant leur élan (devâyatana), ils sont montés au ciel. C’est encore le centre du ciel et de la terre, le nombril de la terre. — Quelques folles que paraissent de telles expressions, rappelons-nous que pour les Juifs le temple était le centre de la terre ; de même pour les Romains, Rome ; et sur les cartes du moyen âge Jérusalem était le nombril du monde. Ces idées ne sont pas si loin de nous. Le centre religieux de la vie coïncide avec le centre du monde.
  5. Le nom est même devenu celui des cloîtres bouddhiques. — Nous ne pouvons suivre ni le détail, ni l’ordre rigoureux des rites du sacrifice animal hindou. Ainsi la cérémonie de l’allumage du feu est proclamée, par une école au moins (Kât. çr. sû., VI, 3, 26), inséparable des cérémonies d’introduction de la victime.