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Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/98

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Aussi, une fois que la bête est placée dans la position prescrite et orientée dans le sens déterminé par les rites[1], tout le monde se tait. Dans l’Inde, les prêtres se retournent ; le sacrifiant et l’officiant se retournent[2] en murmurant des mantras propitiatoires[3]. On n’entend plus que les ordres donnés à voix simple par le prêtre au sacrificateur. Celui-ci serre alors le lien qui entoure la gorge de l’animal[4], « apaise son souffle[5] », comme dit l’euphémisme employé. La victime est morte. L’esprit est parti.

Les rites du meurtre étaient extrêmement variables. Mais chaque culte exigeait qu’ils fussent scrupuleusement observés. Les modifier était généralement une hérésie funeste, punie par l’excommunication et la mort[6]. C’est que, par le meurtre, on dégageait une force ambiguë, ou plutôt aveugle, redoutable par cela seul qu’elle était une force. Il fallait donc la limiter, la diriger et la dompter. C’est à quoi servaient les rites. Le plus généralement, la

  1. On dit : « Tournez ses pieds au Nord, faites aller au soleil son œil, répandez au vent son souffle, à l’atmosphère sa vie, aux régions son ouïe, à la terre son corps. » Ces indications, Âçv. çr. sû., III, 3, 1, cf. Ait. Br., 6, 6, 13, sont importantes. La tête est tournée vers l’Ouest, parce que tel le chemin général des choses : celui par où va le soleil, celui que suivent les morts, par où les dieux sont montés au ciel, etc. — L’orientation des victimes est un fait fort notable. Malheureusement les renseignements sémitiques, classiques, ethnographiques sont relativement pauvres sur la question. En Judée, les victimes étaient attachées aux cornes de l’autel, de différents côtés suivant la nature du sacrifice, et probablement avaient la tête tournée vers l’Est. — En Grèce, les victimes aux dieux chthoniens étaient sacrifiées la tête contre terre ; celles aux dieux célestes, la tête vers le ciel (voir Il., Α, 459 et schol.). Cf. les bas-reliefs représentant le sacrifice mithriaque du taureau, dans Cumont, Textes et monuments relatifs au culte de Mithra.
  2. Âp. çr. sû., VII, 17, 1. Âçv. çr. sû., III, 3, 6. De même, dans la messe catholique les fidèles s’inclinent à l’élévation.
  3. On dit à la bête qu’elle va au ciel, pour les siens, qu’elle ne meurt pas, qu’elle n’est pas blessée, qu’elle va dans le chemin des bons, le chemin de Savitar (le soleil), le chemin des dieux, etc. Âp., VII, 16, 7 ; T. B., 3, 7, 7, 14.
  4. Kâty. çr. sû., VI, 15, 19. Il importe que le corps soit intact au moment de la mort.
  5. Tel est l’ordre répété trois fois, Âçv. çr. sû., III, 3, 1, 4.
  6. Ex. Maspero, Rev. Arch., 1871, p. 335, 336, 336.