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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/111

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ailleurs, la politique absorbant tout, escamoter le fauteuil de Chateaubriand pêle-mêle avec le fauteuil de Vatout ; deux muscades dans le même gobelet. De cette façon, le public stupéfait se serait retourné un beau matin et aurait vu tout bonnement M. de Noailles dans le fauteuil de Chateaubriand. Peu de chose, un grand seigneur à la place d’un grand écrivain.

Puis, après l’éclat de rire, chacun se serait remis à ses affaires, les distractions seraient venues bien vite, grâce au roulis de la politique, et, quant à l’Académie, mon Dieu ! un duc et pair de plus dedans, un ridicule de plus dessus, la belle histoire ! elle eût vécu comme cela.

M. de Noailles est un personnage d’ailleurs considérable. Un grand nom, de hautes manières, une immense fortune, un certain poids en politique sous Louis-Philippe, accepté des conservateurs quoique ou parce que légitimiste, lisant des discours qu’on écoutait, il avait une grande place dans la Chambre des pairs ; ce qui prouve que la Chambre des pairs avait une petite place dans le pays.

M. de Chateaubriand, qui haïssait tout ce qui pouvait le remplacer et souriait à tout ce qui pouvait le faire regretter, avait eu la bonté de lui dire quelquefois, au coin du feu de Mme Récamier, « qu’il le souhaitait pour successeur » ; ce qui, M. de Chateaubriand mort, avait fait bâcler bien vite à M. de Noailles un gros livre en deux volumes sur Mme de Maintenon, au seuil duquel une faute de français seigneuriale m’avait arrêté dès la première page de la préface.

Voilà où en était la chose quand je me décidai à aller à l’Académie.

La séance indiquée pour deux heures comme à l’ordinaire, s’ouvrit comme à l’ordinaire à trois heures un quart[1].




XVII

11 janvier [1849].

C’est l’élection du successeur de M. de Chateaubriand.

Je suis allé à l’Académie de bonne heure. L’heure fixée était midi.

Comme je traversais la cour du Louvre, la foule était amassée autour du piédestal informe qui a porté la statue de M. le duc d’Orléans. En février, on avait peint des deux côtés de ce piédestal cette inscription :

aux citoyens de paris
MORTS POUR LA LIBERTÉ
les 22, 23 et 24 février,
LA RÉPUBLIQUE RECONNAISSANTE.
  1. L’élection fut ajournée au 11 janvier 1849. (Note de l’éditeur.)