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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/125

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LE BOUGE.


[1844].

Ah ! vous voulez une description de ce bouge ? J’hésitais à vous l’infliger. Mais vous la voulez. Ma foi ! la voilà. Ne vous en prenez qu’à vous, c’est votre faute.

« Bah ! dites-vous, je vois cela d’ici. Un repaire chassieux et bancal. Quelque vieille maison ! »

D’abord, ce n’est pas une vieille maison, c’est bien pis, c’est une maison neuve.

En vérité, une vieille maison ! vous comptiez sur une vieille maison et vous en faisiez fi d’avance ! Ah bien oui ! on vous en donnera, des vieilles maisons ! Une masure ! mais savez-vous que c’est charmant, une masure ! La muraille est d’une belle couleur chaude et puissante avec des trous à papillons, des nids d’oiseaux, de vieux clous où l’araignée accroche ses rosaces, mille accidents amusants à regarder ; la fenêtre n’est qu’une lucarne, mais elle laisse passer de longues perches où pendent, se séchant au vent, toutes sortes de nippes bariolées, loques blanches, haillons rouges, drapeaux de misère qui donnent un air de joie à la baraque et resplendissent au soleil ; la porte est lézardée et noire, mais approchez et examinez, elle a sans nul doute quelque antique ferrure du temps de Louis XIII, découpée comme une guipure ; le toit est plein de crevasses, mais dans chaque crevasse il y a un liseron qui fleurira au printemps ou une marguerite qui s’épanouira à l’automne ; la tuile est rapiécée avec du chaume, parbleu ! je le crois bien, c’est une occasion d’avoir sur son toit une colonie de gueules-de-loup roses et de mauves sauvages ; une belle herbe verte tapisse le pied de ce mur décrépit ; le lierre y grimpe joyeusement et en cache les nudités, les plaies et les lèpres peut-être ; la mousse couvre de velours vert le banc de pierre qui est à la porte. Toute la nature prend en pitié cette chose dégradée et charmante que vous appelez une masure, et lui fait fête. Ô masure ! vieux logis honnête et paisible, doux et aimable à voir ! rajeuni tous les ans par avril et par mai ! embaumé par la giroflée et habité par l’hirondelle !

Non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, ce n’est pas d’une vieille maison, je le répète, c’est d’une maison neuve, — d’une masure neuve, si vous voulez.