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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/327

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sûr ? ai-je demandé. — J’ai vu la croix de mes yeux sur la porte de Mme de Liéven, m’a-t-il répondu.

Le président Franck-Carré a rencontré ce matin M. Duchâtel et lui a dit :

— Eh bien ? — Cela va bien, a répondu le ministre. — Que faites-vous de l’émeute ? — Je la laisse ici. Que voulez-vous qu’ils fassent place Louis XV et dans les Champs-Élysées ? Il pleut. Ils vont piétiner là toute la journée. Ce soir, ils seront éreintés, et iront se coucher.

M. Étienne Arago, qui entrait, nous a jeté sans s’arrêter ces quatre mots : — Déjà sept blessés et deux tués. Il y a des barricades rue Sainte-Avoye. La séance a fini. Je suis sorti en même temps que les députés et je m’en suis revenu par les quais.

On continuait de charger place de la Concorde. Deux barricades avaient été essayées rue Saint-Honoré. On dépavait le marché Saint-Honoré. Les omnibus des barricades avaient été relevés par la troupe. Rue Saint-Honoré, la foule laissait passer les gardes municipaux, puis les criblait de pierres dans le dos. Une multitude montait par les quais avec le bruit d’une fourmilière irritée. J’ai vu passer une très jolie femme en chapeau de velours vert avec un grand cachemire marchant au milieu d’un groupe de blouses et de bras nus. Elle relevait sa robe à outrance, à cause de la boue, et était fort crottée. Car il pleut de minute en minute. Les Tuileries étaient fermées. Aux guichets du Carrousel, la foule était arrêtée et regardait par les arcades la cavalerie rangée en bataille devant le palais.

Vers le pont du Carrousel, j’ai rencontré M. Jules Sandeau. Il m’a demandé : — Que pensez-vous de ceci ? — Que l’émeute sera vaincue, mais que la révolution triomphera.

Tout le long du quai, des patrouilles passaient, et la foule criait : Vive la ligne ! Les boutiques étaient fermées et les fenêtres ouvertes.

Place du Châtelet, j’ai entendu un homme dire à un groupe : — C’est 1830 !

Non. En 1830, il y avait le duc d’Orléans derrière Charles X. En 1848, derrière Louis-Philippe il y a un trou. C’est triste de tomber de Louis-Philippe en Ledru-Rollin.

J’ai pris par l’Hôtel de Ville et par la rue Sainte-Avoye. Tout était tranquille à l’Hôtel de Ville, deux gardes nationaux se promenaient devant la grille et il n’y avait point de barricades rue Sainte-Avoye. Quelques gardes nationaux, en uniforme, le sabre au côté, allaient et venaient rue Rambuteau. On battait le rappel dans le quartier du Temple.

Jusqu’à ce moment, le pouvoir avait fait mine de se passer cette fois de la garde nationale. Ce serait peut-être prudent. Ce matin, le poste de garde nationale de service à la Chambre des députés a refusé de marcher.