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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/50

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Je n’en veux rien croire. Nouveaux détails. Un cuisinier de la maison et le marchand de vin voisin ont vu la chose. Je fais monter le cuisinier. En effet, en passant sur le quai des Orfèvres, il a vu un groupe de jeunes gens tirer des coups de fusil sur la préfecture de police. Une balle a frappé le parapet près de lui. De là, les assaillants ont couru place du Châtelet et à l’Hôtel de Ville, tiraillant toujours. Ils sont partis de la Morgue, que le brave homme appelle la Morne.

Pauvres jeunes fous ! avant vingt-quatre heures, bon nombre de ceux qui sont partis de là seront revenus là.

On entend la fusillade. La maison est en rumeur. Les portes et les croisées s’ouvrent et se ferment avec bruit. Les servantes causent et rient aux fenêtres.

On dit que l’insurrection a gagné la Porte-Saint-Martin. Je sors, je suis les boulevards. Il fait beau. La foule se promène dans ses habits du dimanche. On bat le rappel.

À l’entrée de la rue du Pont-aux-Choux, il y a des groupes qui regardent dans la direction de la rue de l’Oseille. On distingue beaucoup de monde et beaucoup de tumulte autour d’une vieille fontaine qu’on aperçoit du boulevard et qui fait l’angle d’un carrefour dans la Vieille rue du Temple. Au milieu de ce tumulte on voit passer trois ou quatre petits drapeaux tricolores. Commentaires. On reconnaît que ces drapeaux sont tout simplement l’ornement d’une petite charrette à bras où l’on colporte je ne sais quelle drogue à vendre.

À l’entrée de la rue des Filles-du-Calvaire, des groupes regardent dans la même direction. Quelques ouvriers en blouse passent près de moi. J’entends l’un d’eux dire : — Qu’est-ce que cela me fait ? je n’ai ni femme, ni enfant, ni maîtresse.

Sur le boulevard du Temple, les cafés se ferment. Le Cirque Olympique se ferme aussi. La Gaîté tient bon, et jouera.

La foule des promeneurs grossit à chaque pas. Beaucoup de femmes et d’enfants. Trois tambours de la garde nationale, vieux soldats, l’air grave, passent en battant le rappel. La fontaine du Château-d’Eau jette bruyamment sa belle gerbe de fête. Derrière, dans la rue basse, la grande grille et la grande porte de la mairie du ve arrondissement sont fermées l’une sur l’autre. Je remarque dans la porte de petites meurtrières.

Rien à la Porte-Saint-Martin que beaucoup de foule qui circule paisiblement à travers des régiments d’infanterie et de cavalerie stationnés entre les deux portes. Le théâtre de la Porte-Saint-Martin ferme ses bureaux. On enlève les affiches sur lesquelles je lis : Marie Tudor. Les omnibus marchent.