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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/88

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[LA MORT DU DUC D’ORLÉANS[1].]


Hier, 13 juillet 1842, M. le duc d’Orléans est mort par accident.

À ce sujet, quand on médite l’histoire des cent cinquante dernières années, une remarque vient à l’esprit. Louis XIV a régné, son fils n’a pas régné ; Louis XV a régné, son fils n’a pas régné ; Louis XVI a régné, son fils n’a pas régné ; Napoléon a régné, son fils n’a pas régné ; Charles X a régné, son fils n’a pas régné ; Louis-Philippe règne, son fils ne régnera pas. Fait extraordinaire ! Six fois de suite la prévoyance humaine désigne dans tout un peuple une tête qui devra régner, et c’est précisément celle-là qui ne règne pas. Six fois de suite la prévoyance humaine est en défaut. Le fait persiste avec une redoutable et mystérieuse obstination. Une révolution survient, un universel tremblement d’idées qui engloutit en quelques années un passé de dix siècles et toute la vie sociale d’une grande nation ; cette commotion formidable renverse tout, excepté le fait que nous venons de signaler ; elle le fait jaillir au contraire du milieu de tout ce qu’elle fait crouler ; un grand empire s’établit, un Charlemagne apparaît, un monde nouveau surgit, le fait persiste ; il semble être du monde nouveau comme il était du monde ancien. L’empire tombe, les vieilles races reviennent, le Charlemagne se dissout, l’exil prend le conquérant et rend les proscrits ; les révolutions se reforment et éclatent, les dynasties changent trois fois, les événements passent sur les événements, les flots passent sur les flots, — toujours le fait surnage, tout entier, sans discontinuité, sans modification, sans rupture. Depuis que les monarchies existent, le droit dit : Le fils aîné du roi règne toujours, et voilà que, depuis cent quarante ans, le fait répond : Le fils aîné du roi ne règne jamais. Ne semble-t-il pas que c’est une loi qui se révèle, et qui se révèle, dans l’ordre inexplicable des faits humains, avec ce degré de persistance et de précision qui jusqu’à présent n’avait appartenu qu’aux faits matériels ? N’est-il pas temps que la providence intervienne pour déranger

  1. Ferdinand, duc d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, né en 1810, avait porté d’abord le titre de duc de Chartres. Il se signala au siège d’Anvers en 1832, en Algérie en 1835, franchit les Portes de Fer en 1840. Il avait épousé en 1837 la princesse Hélène de Mecklembourg dont il eut deux fils : le comte de Paris et le duc de Chartres. Il périt le 13 juillet 1842, près du château de Neuilly. Ses chevaux s’étaient emportés, il s’élança de sa voiture et se fracassa le crâne sur le pavé. (Note de l’éditeur.)