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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/110

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L’exalté répondit : — C’est mieux que Marat.

C’était là le masque qui venait de tomber.

Cet homme était un espion.

Voici comment la chose s’était découverte :

Hubert avait dans la proscription un ami intime, Hayes. Un jour, c’était au commencement de septembre, il prit Hayes à part et lui dit très bas et mystérieusement :

— Je pars demain.

— Tu pars ?

— Oui.

— Où vas-tu ?

— En France.

— Comment ! en France !

— À Paris.

— À Paris !

— On m’y attend.

— Pourquoi ?

— Pour un coup.

— Comment entreras-tu en France ?

— J’ai un passeport.

— De qui ?

— Du consul.

— Sous ton nom ?

— Sous mon nom.

— Voilà qui est drôle.

— Tu oublies que je suis gracié de février.

— C’est juste, dit Hayes. Et de l’argent ?

— J’en ai.

— Combien ?

— Vingt francs.

— Avec vingt francs tu vas faire le voyage de Paris ?

— Une fois à Saint-Malo, j’irai comme je pourrai. À pied s’il le faut. S’il le faut, je ne mangerai pas. Il faut que je sois à Paris. J’y serai. J’irai droit devant moi, par le plus court.

Au lieu de prendre le plus court, il prit le plus long. De Saint-Malo il alla à Rennes, de Rennes à Nantes, de Nantes à Angers, d’Angers à Paris, par le chemin de fer. Il mit six jours à ce voyage. Chemin faisant, il vit dans chaque ville les démocrates meneurs, Boué à Saint-Malo ; Rocher, le docteur Guépin et les Mangin à Nantes ; Rioteau à Angers. Il se présenta partout comme envoyé en mission par les proscrits de Jersey, et il eut facilement les