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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/287

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Salvandy, et les pages sur Béranger. Voulez-vous un récit de l’exil, un drame émouvant en quelques pages ? lisez l’Espion Hubert ; mais il faudrait tout citer, car tout dans Choses vues est à lire et à relire.

Ce volume a ceci d’original qu’il est, dans l’œuvre du maître, une manifestation inattendue ; il a cette autre originalité de joindre le piquant de la chronique et l’intérêt du roman à la valeur d’un document historique.


Paris.
6 juin 1887.
Georges Montorgueil.

Il y a de la gloire à doter vingt noms dans ce que Victor Hugo a laissé. MM. Vacquerie et Meurice, gardiens de ce trésor posthume, l’exploitent en lettrés consciencieux et en amis fidèles. Ils retrouvent, dans ces miettes d’un magnifique festin, des festins encore. Ce sont des œuvres achevées que, par un dédain de prodigue, le poète gardait dans ses tiroirs, attendant peut-être cette disette du génie que, seul entre les écrivains illustres de tous les pays et de tous les temps, il ne connut point. À côté des ouvrages parachevés sont les esquisses ; nulle part, mieux que là, n’est visible l’envers du génie, qui a quelque chose de mystérieux et de divin.

Ce sont de fugitifs croquis que l’on met aujourd’hui sous nos yeux : mais d’une intensité de vie, d’une vérité de dessin, d’une franchise d’allures, qu’ils valent les pages aînées, celles que nous avons lues, relues et que nous relirons.

Ces notes sur les hommes et sur les choses ne sont pas de vagues silhouettes, des remarques personnelles et sans intérêt, comme, sous couleur de nous initier aux secrets sentiments des écrivains amis, des amis trop complaisants ont coutume de le faire. Le livre qui a pour titre Choses vues est substantiel, profond, lumineux ; c’est un document pour servir à l’histoire humaine et politique de ce temps.

Nous sommes nombreux qui nous disons tout haut les admirateurs des écrivains d’une école qui s’appelle réaliste, parce qu’il faut bien s’appeler quelque chose ; mais nous avouons, sans qu’il nous en coûte, que le plus observe des romans de cette école ne saurait dépasser, en observation minutieuse et en souci du détail vrai, en puissance du rendu, sans tricherie ni procédé, les chapitres divers de Choses vues. C’est du réalisme cela, mais un réalisme qui n’exclut point l’idéal. Il y a toutes sortes de choses sous le ciel, mais il y a le ciel. Dans la même page, où l’artiste campe l’homme à la façon d’un Ribera ou d’un Goya, le poète rappelle qu’il y a aussi l’humanité. La justice domine la silhouette des juges ; la monarchie la silhouette du roi. Et dans l’action combinée du peintre et du philosophe, le corps grotesque du passant est aussi visible que l’âme des foules.

… Jamais je n’ai mieux senti l’embarras de choisir. Il n’est pas une ligne qui ne retienne, dans ce livre attachant comme un roman et sévère comme l’histoire.


La République française.
Gustave Isambert.

De la bonne chronique, en voilà ! Je dirais volontiers qu’elle est trop bonne, car il faut se retenir pour ne pas se mettre à copier. Le nouveau confrère qui nous arrive, saluons ! c’est tout uniment Victor Hugo. Il fallait se méfier de l’auteur du Rhin. Tout le monde avait senti que ces lettres à un ami décelaient un chroniqueur d’avenir. Eh bien ! Victor Hugo n’avait pas plus manqué à cette vocation qu’aux autres : il a écrit des chroniques ; seulement, il les gardait pour lui et pour la postérité. Ce que nous donnent ses exécuteurs testamentaires n’est ni un journal intime, ni un registre méthodique de menus faits. C’est bien un recueil de chroniques. Il y a des indiscrétions piquantes, les descriptions pittoresques, les histoires de salons et de boudoirs, les catastrophes, les causes célèbres, les émotions de la rue, les enterrements et même les agonies à sensation. On ne parlait sous Louis-Philippe ni de reportage ni d’interview ; mais on n’a importé réellement que des mots. Victor Hugo ne manque point de nous rapporter ses entrevues avec les hommes du jour ; mais comme il était l’un d’eux et qu’il pouvait les traiter tous de pair de France à compagnon, y compris le roi des Français, sa récolte n’était point banale.