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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/109

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quart d’heure, sautant d’arbre en arbre, vive et joyeuse, et s’arrêtant de temps en temps pour piquer une mouche au pied de quelque jeune chêne.

Je suis resté longtemps les yeux fixés sur ce trappiste. La lande était immense et aride comme une plaine de la Vieille-Castille ; la terre rousse et brûlée par le soleil faisait çà et là à l’horizon de ces petites dentelures brusques qui figurent des marches d’escalier ; pas un clocher au loin, à peine un arbre. La route était bordée à cet endroit-là de quelques chênes morts. Le religieux était assisté d’un paysan qu’il enseignait avec un geste grave et rare sans prendre garde à nous autres passants. De temps en temps il se retournait, et le soleil couchant dessinait vivement par les ombres et par les clairs sa figure austère et sereine. Je ne sais si cet homme pensait, mais je sais qu’il faisait penser.

À quelques lieues de là, passant près de je ne sais quelle bourgade et revenu cette fois dans la belle Flandre, j’ai remarqué un grand peuplier desséché au milieu d’une petite place à l’entrée du village. On m’a dit que c’était un arbre de la constitution. J’en suis fâché pour la constitution, mais cela faisait un piteux effet. Rien de plus chétif que cette idée politique plantée au milieu des paysages. Rien de misérable et d’effronté en même temps comme ce témoignage rendu à la petite puissance de l’homme en présence de la nature et de Dieu. D’un côté des forêts, des plaines, des collines, des rivières, des nuages, la terre et le ciel ; de l’autre, une méchante perche desséchée qu’on est obligé d’étayer contre le vent.

Et puis quelles idées cela fait venir ! Il y avait un arbre qui avait une racine, des branches et des feuilles, qui était vert et vivant ; on a pris cet arbre, on lui a coupé sa racine, les feuilles sont tombées, les branches sont mortes, et l’on a été bêtement le replanter dans un sol qui n’est plus le sien. Fidèle symbole de tant de constitutions modernes qui ne sont ni du passé, ni de l’avenir, ni du climat.

À propos de climat, j’ai quelque peine à me faire à celui-ci. C’est une espèce d’été fort lourd et fort épais, et où l’on respire comme une vapeur de bière. Je suis écrasé par ces chaleurs flamandes.

Je ne m’accoutume pas non plus à ce qu’on boit ici. Rien de nauséabond comme ce faro et ce lambic. Je fais décidément peu de cas du vin de Flandre et du vin de Normandie. J’aime mieux le cidre de Bourgogne et la bière de Bordeaux.

Leurs puits sont singuliers. Ils puisent l’eau avec une grue. Il est assez curieux de les voir tirer un seau de la citerne comme Archimède enlevait les navires de la mer au siège de Messine.

Tu vois, chère amie, comme je bavarde avec toi. Je te dis tout, et je retire ainsi une seconde joie des choses que je vois. J’ai fait tout ce que