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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/126

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ostende. — furnes. — bruges.


Furnes. — 31 août. — 7 heures 1/2 du soir.

J’ai sous les yeux en commençant cette lettre, chère amie, une des plus jolies places que j’aie encore vues ; vis-à-vis de moi un noble hôtel de ville de la Renaissance dont le beffroi est gothique, quoique gâté à son sommet par une balustrade à mollets ; à gauche plusieurs logis de divers styles fort bien contrastés ; en face, à côté de l’hôtel de ville, quatre ou cinq gracieux pignons du seizième siècle au-dessus desquels se découpe dans le crépuscule le profil d’une nef gothique ; enfin, à droite, une belle embouchure de rue ourlée d’un côté d’un petit châtelet fort sévère et tort curieux, de l’autre d’un élégant fronton espagnol à rocailles accouplé à plusieurs autres ; le tout dominé par une superbe flèche toute en briques qui est d’une ligne magnifique. Ajoute à ces trois façades mon côté que je ne vois pas et qui les complète, mets au milieu un fort beau pavé à compartiments de couleur, immense mosaïque qui tient toute la place, et tu comprendras, mon Adèle, que si tu y étais, et les enfants avec toi, la place de Furnes n’aurait rien à envier à la place Royale.

J’arrive d’Ostende. Il n’y a rien à Ostende, pas même des huîtres. C’est-à-dire, il y a la mer, et je suis un ingrat de parler d’Ostende comme je fais. Je suis d’autant plus ingrat que j’ai été à Ostende l’objet de toutes sortes de faveurs spéciales de la part de la mer et de la part du ciel. D’abord, comme j’entrais à Ostende, il avait plu toute la matinée, la pluie a brusquement cessé, les nuages se sont envolés, le soleil s’est mis à sécher la grève en diligence, et j’ai pu me promener deux bonnes heures au bord de la mer à la marée descendante. — Hélas ! pas un pauvre coquillage, mon Toto ! Rien que le sable le plus doux et le plus fin du monde.

Je suis charmé d’avoir vu les dunes. C’est moins beau que les granits de Bretagne et que les falaises de Normandie, mais c’est fort beau encore. La mer ici n’est plus furieuse, elle est triste. C’est une autre espèce de grandeur. Le soir, les dunes font à l’horizon une silhouette tourmentée et pourtant sévère. C’est, à côté des vagues éternellement remuées, une barrière éternelle de vagues immobiles.

C’est en se promenant sur les dunes qu’on sent bien l’harmonie profonde qui lie jusque dans la forme la terre à l’océan ; l’océan est une plaine, en effet, et la terre est une mer. Les collines et les vallons ondulent comme des vagues, et les chaînes de montagnes sont des tempêtes pétrifiées.