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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/248

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agaçaient gaîment un pauvre pince-pigne suspendu au mur dans une cage. Dans un coin de la place murmurait une vieille fontaine-vasque chargée à son sommet de conferva rivularis, dont les cheveux verts laissaient tomber goutte à goutte des perles d’eau étincelante. Tout cet ensemble était aimable et doux. Chère amie, je t’aurais voulue là, près de moi, avec nos enfants bien-aimés.

Après Cuges, la route gravit des hauteurs assez âpres. C’est ici une vraie route apennine, roide, sauvage, encaissée. Il y a quarante ans on y arrêtait les diligences. De temps en temps on y rencontre une paysanne avec son vaste feutre noir, ou un gendarme à cheval, ou un mulet bâté, chargé de ballots, coiffé de grelots et de touffes de laine rouge, dont la tête plonge jusqu’aux yeux dans une large muselière en sparterie. Par-dessus les collines de Cuges on aperçoit les crêtes pelées de la Sainte-Baume.

Quelques instants après avoir laissé à sa droite une éminence aride qui résume toute sa sève en un pin magnifique debout à son sommet, on arrive au point culminant de la muraille naturelle qui enveloppe Cuges de toutes parts. L’horizon s’ouvre, une grande vallée creuse le paysage, la Méditerranée apparaît au loin dans les écartements des montagnes.

Deux lieues plus loin, on ne voit plus la mer ; on a dépassé deux anciens villages fortifiés qui sont assis vis-à-vis l’un de l’autre chacun sur sa colline et qui se regardent comme deux nids d’aigles ; on a traversé le Beausset, bourg où j’ai remarqué quelques portes à maîtres-claveaux sculptés du temps de Henri IV ; le chemin s’enfonce tout à coup dans des terrains étranges.

À gauche, les roches calcaires usées, morcelées et aiguisées par les orages, se dressent comme les aiguilles d’une cathédrale ; à droite, les grès prennent des formes et des attitudes singulières. Ce sont des titans à demi enfouis dans la terre, dont on distingue les épaules, les omoplates, les hanches et la colonne vertébrale ; ce sont des crânes énormes dont il semble que des vautours géants aient fouillé les yeux ; ce sont des tortues monstrueuses que le déplacement de la voiture fait ramper à travers les bruyères sous leur carapace de quatrevingts pieds de long.

Puis la route tourne, une forteresse gothique en ruine se dresse au sommet d’une montagne, d’immenses escarpements de roches nues et déchiquetées envahissent tout l’horizon, le chemin se resserre, un lit de torrent desséché vient le côtoyer ; on est dans les gorges d’Ollioules. — Là, j’ai mis pied à terre.

Il ne manque qu’un événement aux gorges d’Ollioules pour avoir la célébrité des Fourches Caudines ou des Thermopyles.

C’est vraiment un lieu formidable. L’œil n’y voit plus rien qu’une roche jaune, abrupte, déchirée, verticale, à droite, à gauche, devant, derrière,