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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/263

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fréjus.


— albums. —


10 octobre.

Pour le voyageur qui arrive du côté de Cannes, Fréjus apparaît de loin au milieu de sa plaine, qui était un port du temps de César ; cependant il commençait déjà à s’engraver ; je crois me souvenir que César dit quelque part : Le port de Fréjus est encore bon. Aujourd’hui quelques maisons, rehaussées de deux ou trois grosses tours de couleur sombre et dominées par un clocher pointu, voilà Fréjus. La mer est à une demi-lieue.

La plaine est ravissante, tant elle est verte et ombragée. Tous ces arbres-là font quelque chose pour l’homme ; ils sont utiles en même temps que charmants. L’olivier donne son fruit, l’oranger sa fleur, le mûrier sa feuille, le chêne-liège son écorce, le pin sa sève.

Vu aux environs de Marseille, où on le maintient à l’état de jeune plant afin de pouvoir récolter les olives à la main, l’olivier est laid. C’est un petit arbre rond et rabougri qui semble toujours couvert de poussière et qui salit le paysage. Vers Antibes et Nice, l’olivier est un arbre magnifique. Là on l’abandonne à lui-même. Il pousse en haute futaie ; il a un tronc énorme, un branchage bizarre et irrité, un feuillage fin et soyeux qui, à distance, vu en touffes, ressemble à une fourrure de chinchilla. Il se pose dramatiquement sur la hanche comme le châtaignier, porte ses rameaux et ses fruits à bras tendu, et offre, comme le cèdre et le chêne, ce mélange de grâce et de majesté propre à tous les arbres qui ont le tronc large et la feuille petite.

À trois quarts de lieue de Fréjus, d’énormes tronçons de ruines commencent à poindre çà et là parmi les oliviers. C’est l’aqueduc romain.

L’aqueduc neuf et complet était beau sans doute il y a deux mille ans, mais il n’était pas plus beau que cet écroulement gigantesque répandu sur toute la plaine, courant, tombant, se relevant, tantôt profilant trois ou quatre arches de suite à moitié enfouies dans les terres, tantôt jetant Vers le ciel un arc isolé et rompu ou un contrefort monstrueux debout comme un peulven druidique, tantôt dressant avec majesté au bord de la route un grand plein-cintre appuyé sur deux massifs cubiques, et de ruine se transfigurant tout à coup en arc de triomphe. Le lierre et la ronce pendent à toutes ces magnificences de Rome et du temps.

Chose singulière et qui m’a fait rêver, c’est par l’ouverture d’un de ces