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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/322

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n’atteint le centre des choses. Le génie lui-même, qui est de toutes les sondes la plus puissante, ne saurait toucher le noyau de flamme, l’être, le point géométrique et mystique, milieu ineffable de la vérité. Nous ne ferons jamais rien sortir du rocher que tantôt une goutte d’eau, tantôt une étincelle de feu.

Méditons cependant. Frappons le rocher, creusons le sol. C’est accomplir une loi. Il faut que les uns méditent comme il faut que les autres labourent.

Et puis résignons-nous. Le secret que veut arracher la philosophie est gardé par la nature. Or, qui pourra jamais te vaincre, ô nature ?

Nous ne voyons qu’un côté des choses ; Dieu voit l’autre.

La dépouille humaine nous effraie quand nous la contemplons ; mais ce n’est qu’une dépouille, quelque chose de vide et de vain et d’inhabité. Il nous semble que cette ruine nous révèle des choses horribles. Non. Elle nous effraie, et rien de plus. Voyons-nous l’intelligence ? Voyons-nous l’âme ? Voyons-nous l’esprit ? Savons-nous ce que nous dirait l’esprit des morts, s’il nous était donné de l’entrevoir dans son glorieux rayonnement ? N’en croyons donc pas le corps qui se désorganise avec horreur, et qui répugne à sa destruction ; n’en croyons pas le cadavre, ni le squelette, ni la momie, et songeons que, s’il y a une nuit dans le sépulcre, il y a aussi une lumière. Cette lumière, l’âme y est allée pendant que le corps restait dans la nuit ; cette lumière, l’âme la contemple. Qu’importe que le corps grimace, si l’âme sourit ?

J’étais plongé dans ce chaos de pensées. Ces morts qui s’entretenaient entre eux ne m’inspiraient plus d’effroi ; je me sentais presque à l’aise parmi eux. Tout à coup, je ne sais comment il me revint à l’esprit qu’en ce moment-là même, au haut de cette tour de Saint-Michel, à deux cents pieds sur ma tête, au-dessus de ces spectres qui échangent dans la nuit je ne sais quelles communications mystérieuses, un télégraphe, pauvre machine de bois menée par une ficelle, s’agitait dans la nuée, et jetait l’une après l’autre à travers l’espace, dans la langue mystérieuse qu’il a lui aussi, toutes ces choses imperceptibles qui demain seront le journal.

Jamais je n’ai mieux senti que dans ce moment-là la vanité de tout ce qui nous passionne. Quel poëme que cette tour de Saint-Michel ! quel contraste et quel enseignement ! Sur son faîte, dans la lumière et dans le soleil, au milieu de l’azur du ciel, aux yeux de la foule affairée qui fourmille dans les rues, un télégraphe, qui gesticule et se démène comme Pasquin sur son tréteau, dit et détaille minutieusement toutes les pauvretés de l’histoire du jour et de la politique du quart d’heure, Espartero qui tombe, Narvaez qui surgit, Lopez qui chasse Mendizabal, les grands événements microscopiques, les infusoires qui se font dictateurs, les volvoces qui se font tribuns, les vibrions