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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/33

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Brest, 8 août.

J’arrive. Je suis encore tout étourdi de trois nuits de malle-poste, sans compter les jours. Trois nuits à grands coups de fouet, à franc étrier, sans boire, ni manger, ni respirer à peine, avec quatre diablesses de roues qui mangent les lieues vraiment quatre à quatre qu’elles sont. Je t’assure, ma pauvre amie bien-aimée, que la tête est lasse quand, par une aube de vent et de brume, on descend au grand galop dans Brest, sans rien voir que la vitre abaissée sur vos yeux contre la pluie.

Mais ce qui n’est pas las, ce qui est toujours prêt à t’écrire, à penser à toi et à t’aimer, c’est le cœur de ton pauvre vieux mari qui a été enfant avec toi, quoique tu sois restée bien plus jeune que lui, de cœur, d’âme et de visage.

Je n’ai encore rien vu de Brest. Point de monuments, qu’une grande vilaine église du Louis XV le plus Saint-Sulpice qui soit. Pas de vieilles maisons sculptées. Je crois qu’il faudra se résigner au bagne et aux vaisseaux de ligne.

À Saint-Brieuc, Mlles Bernard m’ont quitté. Elles ont été remplacées dans la malle-poste par un officier de marine, homme distingué, M. Esnonne. Il a une fort jolie femme et deux jolis enfants. Il est fort littéraire, sa femme et ses enfants fort poétiques. Leur poésie et la mienne visiteront le bagne ensemble. M. Esnonne m’y fera entrer sans que j’aie à trahir mon incognito.

Des que j’aurai une minute, je t’écrirai. J’irai sans doute voir Karnac. J’ai déjà mouillé mes pieds dans l’océan.

Comment va mon Toto ? et toi ? et tous ? Écris-moi bien au long. Tu vois et tu sais comme je t’aime.

Mille cordialités aux habitants des Roches.