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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/398

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Je me disais cela, et un angle du clocher, où une brèche profonde semble avoir été creusée par les bombes, confirmait dans mon esprit cette conjecture. Cependant j’ai poussé une porte au pied de la tour, et je suis entré dans une affreuse église de bon goût, du style le plus chétif et le plus pauvre, dans le genre de la Madeleine et du corps de garde du boulevard du Temple. Ceci m’a rendu perplexe. Ne serait-ce pas pour bâtir cette platitude décorée de triglyphes et d’archivoltes qu’on aurait démoli la vieille église demi-romane et demi-moresque du treizième siècle ?

La « bonne école », hélas ! a pénétré jusqu’en Espagne, et cette prouesse serait digne d’elle. Elle a plus défiguré les vieilles cités que tous les sièges et tous les incendies. Je souhaiterais plutôt une grêle de bombes à un monument qu’un architecte de la bonne école. Par pitié, bombardez les anciens édifices, ne les restaurez pas ! La bombe n’est que brutale ; les maçons classiques sont bêtes. Nos vénérables cathédrales bravent fièrement les obus, les grenades, les boulets ramés et les fusées à la congrève ; elles tremblent jusqu’à leurs fondements devant M. Fontaine. Du moins les fusées, les boulets, les grenades et les obus ne sculptent pas de chapiteaux corinthiens, ne creusent pas de cannelures, et ne font pas éclore autour d’un plein cintre roman des oves taillés à neuf accompagnés de leur chapelet de patenôtres. Saint-Denis vient d’être restauré et n’est plus Saint-Denis ; le Parthénon a été bombardé et est encore le Parthénon.

Les maisons presque toutes bâties en briques jaunes, les toits obtus en tuiles creuses, la poussière qui est dans l’air, les plaines rousses et les montagnes brûlées qui sont à l’horizon, donnent à Pampelune je ne sais quel aspect terreux qui attriste l’œil au premier abord ; mais, comme je vous le disais, dans la ville tout le réjouit. Ce goût fantasque de l’ornement, propre aux peuples méridionaux, prend sa revanche sur la devanture de toutes les maisons. Le bariolage des tentures, la gaîté des fresques, les groupes de jolies femmes à demi penchées sur la rue et causant par signes d’un balcon à l’autre, l’étalage varié et bizarre des boutiques, la rumeur joyeuse et le coudoiement perpétuel des carrefours ont quelque chose de vivant et de rayonnant.

À chaque instant se révèle ce goût à la fois sauvage et élégant propre aux nations à demi civilisées. C’est un puits banal dont la margelle en pierre à peine taillée supporte six petites colonnes de marbre blanc surmontées d’une coupole qui sert de piédestal à la statue d’un saint ; c’est une madone poupée, entourée de peintures, chargée de colifichets, de clinquants et de paillettes, installée sous un dais de damas rouge à l’angle d’un promenoir à arcades blanchies à la chaux.

Ce goût, empreint dans la décoration et l’ameublement des églises, y jette