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Sainte-Mère-Église, 5 juillet.

J’arrive épuisé de fatigue, chère amie. J’ai retrouvé Nanteuil qui m’attendait à Cherbourg. Comme nous avons voulu visiter toute la côte jusqu’ici et qu’il n’y a pas de route, nous avons fait presque tout le chemin à pied, et nous sommes las.

J’ai mille choses à te dire, mais aujourd’hui c’est ta lettre qui m’occupe, ta lettre qui m’a laissé une impression triste. Je suis tout accablé de savoir notre pauvre petit bien-aimé plus malade. Je vais me hâter de revenir pour le revoir, mon Toto si charmant et si doux. J’espère trouver à Caen une lettre de toi qui me rassurera un peu. Ce cher enfant, embrasse-le cent fois pour moi et parle-lui bien de moi, ainsi qu’aux autres.

Et puis, mon Adèle, tu me dis dans ta lettre que tu es un peu triste, et la pensée que tu es triste là-bas m’empêche d’être ici autrement que triste. Tu ne sauras jamais à quel point je t’aime, vraiment, ma pauvre amie. Si tu voyais ce qui est au fond de mon cœur, je crois que tu serais heureuse.

À Barfleur, hier, nous avons voulu, Nanteuil et moi, faire une promenade de nuit en mer. Le maire, un être stupide, appelé M. Salé, s’y est opposé. Furieux, je suis allé ce matin à Valognes avec Nanteuil. J’ai parlé au sous-préfet, M. Clamorgan ; j’ai fait donner une chasse au maire qui va m’écrire une lettre d’excuses. Et puis, le sous-préfet, qui a été tout aimable, nous a voulu faire boire de son vin de Champagne, et nous inviter à dîner, et visiter les ruines romaines avec nous. Nous avons esquivé de notre mieux tout cela ; mais il a bien fallu que je visitasse la bibliothèque dont on m’a fait feuilleter les manuscrits (il y en a vraiment de fort intéressants), le collège dont on m’a présenté les professeurs, etc., etc. J’ai du reste été dédommagé du tout. Le principal, en souvenir de ma visite, m’a demandé un jour de congé que j’ai accordé, comme tu penses, au milieu des vivats de ces pauvres petits diables qui m’adorent en ce moment. Ils se sont mis à jouer incontinent, et en me promenant rêveur sous les grands murs du collège, j’entendais leurs cris de joie qui me faisaient du bien. — En conséquence de quoi je demande aussi au grand-papa un jour de congé pour mes chers petits le jour où cette lettre t’arrivera.

Tu as oublié de m’envoyer la lettre de ma Didine dont tu me parles.