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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/142

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ODES ET BALLADES.


ODE DIXIÈME.

LE DERNIER CHANT.


Ô muse, qui daignas me soutenir dans une carrière aussi longue que périlleuse, retourne maintenant aux célestes demeures !… Adieu ! consolatrice de mes jours, toi qui partageas mes plaisirs, et bien plus souvent mes douleurs !
Chateaubriand. Les Martyrs.


Et toi, dépose aussi la lyre !
Qu’importe le Dieu qui t’inspire
À ces mortels vains et grossiers ?
On en rit quand ta main l’encense ;
Brise donc ce luth sans puissance !
Descends de ce char sans coursiers !

— Oh ! qu’il est saint et pur le transport du poëte,
Quand il voit en espoir, bravant la mort muette,
Du voyage des temps sa gloire revenir !
Sur les âges futurs, de sa hauteur sublime
Il se penche, écoutant son lointain souvenir ;
Et son nom, comme un poids jeté dans un abîme,
Éveille mille échos au fond de l’avenir.

Je n’ai point cette auguste joie.
Les siècles ne sont point ma proie ;
La gloire ne dit pas mon rang.
Ma muse, en l’orage qui gronde,
Est tombée au courant du monde,
Comme un lys aux flots d’un torrent.