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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/147

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À M. ALPHONSE DE L.


III



Ah ! nous ne sommes plus au temps où le poëte
Parlait au ciel en prêtre, à la terre en prophète !
Que Moïse, Isaïe, apparaisse en nos champs,
Les peuples qu’ils viendront juger, punir, absoudre,
Dans leurs yeux pleins d’éclairs méconnaîtront la foudre
Qui tonne en éclats dans leurs chants.

Vainement ils iront s’écriant dans les villes :
« Plus de rébellions ! plus de guerres civiles !
Aux autels du veau d’or pourquoi danser toujours ?
Dagon va s’écrouler, Baal va disparaître.
Le Seigneur a dit à son prêtre :
Pour faire pénitence ils n’ont que peu de jours !

« Rois, peuples, couvrez-vous d’un sac souillé de cendre !
Bientôt sur la nuée un juge doit descendre.
Vous dormez ! que vos yeux daignent enfin s’ouvrir.
Tyr appartient aux flots, Gomorrhe à l’incendie.
Secouez le sommeil de votre âme engourdie,
Et réveillez-vous pour mourir !

« Ah ! malheur au puissant qui s’enivre en des fêtes,
Riant de l’opprimé qui pleure, et des prophètes !
Ainsi que Balthazar, ignorant ses malheurs,
Il ne voit pas aux murs de la salle bruyante
Les mots qu’une main flamboyante
Trace en lettres de feu parmi les nœuds de fleurs !

« Il sera rejeté comme ce noir génie,
Effrayant par sa gloire et par son agonie,
Qui tomba jeune encor, dont ce siècle est rempli.
Pourtant Napoléon du monde était le faîte.