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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/720

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Ces tronçons déchirés, épars, près d’épuiser

Leurs forces languissantes,

Se cherchaient, se cherchaient, comme pour un baiser

Deux bouches frémissantes !


Et comme je rêvais, triste et suppliant Dieu

Dans ma pitié muette,

La tête aux mille dents rouvrit son œil de feu,

Et me dit : « Ô poëte !


« Ne plains que toi ! ton mal est plus envenimé,

Ta plaie est plus cruelle ;

Car ton Albaydé dans la tombe a fermé

Ses beaux yeux de gazelle.


« Ce coup de hache aussi brise ton jeune essor.

Ta vie et tes pensées

Autour d’un souvenir, chaste et dernier trésor,

Se traînent dispersées.


« Ton génie au vol large, éclatant, gracieux,

Qui, mieux que l’hirondelle,

Tantôt rasait la terre et tantôt dans les cieux

Donnait de grands coups d’aile,


« Comme moi maintenant, meurt près des flots troublés ;

Et ses forces s’éteignent,

Sans pouvoir réunir ses tronçons mutilés

Qui rampent et qui saignent. »


10 novembre 1828.