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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/202

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Un second boulet suivit le premier et vint s’enfoncer dans le mur tout près de Gauvain. Un troisième boulet jeta à terre son chapeau.

Ces boulets étaient de gros calibre. C’était une pièce de seize qui tirait.

— On vous vise, commandant, crièrent les artilleurs.

Et ils éteignirent la torche. Gauvain, rêveur, ramassa son chapeau.

Quelqu’un en effet visait Gauvain, c’était Lantenac.

Le marquis venait d’arriver dans la barricade par le côté opposé.

L’Imânus avait couru à lui.

— Monseigneur, nous sommes surpris.

— Par qui ?

— Je ne sais.

— La route de Dinan est-elle libre ?

— Je le crois.

— Il faut commencer la retraite.

— Elle commence. Beaucoup se sont déjà sauvés.

— Il ne faut pas se sauver ; il faut se retirer. Pourquoi ne vous servez-vous pas de l’artillerie ?

— On a perdu la tête, et puis les officiers n’étaient pas là.

— J’y vais.

— Monseigneur, j’ai dirigé sur Fougères le plus que j’ai pu des bagages, les femmes, tout l’inutile. Que faut-il faire des trois petits prisonniers ?

— Ah ! ces enfants ?

— Oui.

— Ils sont nos otages. Fais-les conduire à la Tourgue.

Cela dit, le marquis alla à la barricade. Le chef venu, tout changea de face. La barricade était mal faite pour l’artillerie, il n’y avait place que pour deux canons ; le marquis mit en batterie deux pièces de seize, auxquelles on fit des embrasures. Comme il était penché sur un des canons, observant la batterie ennemie par l’embrasure, il aperçut Gauvain.

— C’est lui ! cria-t-il.

Alors il prit lui-même l’écouvillon et le fouloir, chargea la pièce, fixa le fronteau de mire, et pointa.

Trois fois il ajusta Gauvain, et le manqua. Le troisième coup ne réussit qu’à le décoiffer.

— Maladroit ! murmura Lantenac. Un peu plus bas, j’avais la tête.

Brusquement la torche s’éteignit, et il n’eut plus devant lui que les ténèbres.

— Soit, dit-il.

Et se tournant vers les canonniers paysans, il cria :

— À mitraille !