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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/205

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intervalle entre deux détonations, Gauvain leva son épée, et d’une voix qui, dans ce silence, sembla un éclat de clairon, il cria :

— Deux cents hommes par la droite, deux cents hommes par la gauche, tout le reste sur le centre !

Les douze coups de fusil partirent, et les sept tambours sonnèrent la charge.

Et Gauvain jeta le cri redoutable des bleus :

— À la bayonnette ! Fonçons !

L’effet fut inouï.

Toute cette masse paysanne se sentit prise à revers, et s’imagina avoir une nouvelle armée dans le dos. En même temps, entendant le tambour, la colonne qui tenait le haut de la grande rue et que commandait Guéchamp s’ébranla, battant la charge de son côté, et se jeta au pas de course sur la barricade ; les paysans se virent entre deux feux ; la panique est un grossissement, dans la panique un coup de pistolet fait le bruit d’un coup de canon, toute clameur est fantôme, et l’aboiement d’un chien semble le rugissement d’un lion. Ajoutons que le paysan prend peur comme le chaume prend feu, et, aussi aisément qu’un feu de chaume devient incendie, une peur de paysan devient déroute. Ce fut une fuite inexprimable.

En quelques instants la halle fut vide, les gars terrifiés se désagrégèrent, rien à faire pour les officiers, l’Imânus tua inutilement deux ou trois fuyards, on n’entendait que ce cri : Sauve qui peut ! et cette armée, à travers les rues de la ville comme à travers les trous d’un crible, se dispersa dans la campagne, avec une rapidité de nuée emportée par l’ouragan.

Les uns s’enfuirent vers Châteauneuf, les autres vers Plerguer, les autres vers Antrain.

Le marquis de Lantenac vit cette déroute. Il encloua de sa main les canons, puis il se retira, le dernier, lentement et froidement, et il dit : — Décidément les paysans ne tiennent pas. Il nous faut les anglais.