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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/416

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Un exterminateur charmeur, est-ce que cela est possible ? Oui. Car ce charmeur et cet exterminateur, ce fut Danton.

Danton, visage large, narines ouvertes, œil qui menace et attire à la fois, cynique mélancolique, paresseux tonnant, marqué de petite vérole comme Mirabeau, aussi corrompu et plus courageux, ayant la même nonchalance dans la fougue, plus capable de crime et moins déshonoré par le vice, meilleur et pire, ayant l’instinct du vrai, du tendre et du juste, adorant sa jeune femme, féroce à ses heures, affreux quand on voit ses bas côtés, sublime pourtant, sphinx lui aussi, et, comme Mirabeau, ayant une face de génie et une croupe de monstre.

Il y avait en Danton un Hercule ; son éloquence avait des muscles. Robespierre était dédaigneux, Danton aussi ; mais le dédain de Danton était joyeux, tandis que le dédain de Robespierre était rêveur. Après les tremblements de terre de la place publique, ce que Danton aimait le mieux, c’étaient les fleurs de son petit jardin d’Arcis-sur-Aube ; Danton jetait son argent, sa santé, son temps, sa vie.

Ce prodigue avait les coudes râpés d’un avare, il achevait d’user à la tribune son vieil habit rouge d’ancien ministre de la justice. Il avait la réconciliation brusque ; le 2 juin, il demande la tête d’Henriot, puis le rencontre à la buvette, lui tend son verre et lui dit : Pas de rancune. Robespierre écrivait tout, Danton n’écrivait rien ; il faisait écrire par Fabre d’Églantine ce qu’il signait.

Il y a eu deux Mirabeaux : Mirabeau et Danton.

Frères effrayants. Le même colosse ne pouvait convenir aux deux âges de la révolution. Le premier Briarée suffisait à 89 ; pour 93, il en fallait un deuxième, qui fût pareil et qui fût autre. Nécessité des événements qui ont pour loi de s’incarner dans les hommes. De là Danton. Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole. Dans les profondeurs crépusculaires de l’histoire, Mirabeau et Danton mêlent leurs branches, de façon que par instants on ne distingue plus l’arbre terrible de l’arbre horrible.

Marat fut une espèce d’invisible, présent partout. Être senti sans être vu, c’est le propre des dieux et des démons. Marat apparaissait à la Convention, à la Commune, aux Cordeliers, puis disparaissait. Il vivait caché. Où ? on ne savait. Il avait la laideur sépulcrale. Face de cuivre jaune avec dents qui semblaient vertdegrisées. Trois femmes l’aimèrent, une femme du monde, la marquise de Laubespin, une femme de théâtre, mademoiselle Fleury, et une femme du peuple, Simonne Évrard, qu’il appelait tantôt Catherine, tantôt Albertine. Camille Desmoulins disait : Marat, c’est un poing crispé qui sort de terre.

La Convention traitait Marat avec mépris, il la traitait avec hauteur. Un jour, le 9 juillet, il écrivit à la Convention une lettre pour réclamer « la mise à prix des têtes des Capets rebelles ». Et Bréard s’écria : On opine dans l’assemblée et non dehors. Je demande l’ordre du jour. Marat avait des refuges ; d’abord chez l’actrice, mademoiselle Fleury, puis chez un curé, Bassal, puis chez un boucher, Legendre. De la cave de Legendre, il passa dans les souterrains des Cordeliers. Il avait fait un livre sur et pour l’immortalité de l’âme. Il était suisse, comme Rousseau. Voltaire lui avait écrit : Rentrez dans le néant, votre empire.