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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/495

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dain s’est condamné lui-même ; il ne lui survivra pas.

Or, la nuit même qui précède leur double suicide, ces deux hommes, le juge et la victime, le magistrat et le condamné causent une dernière fois. Dans un cachot, comme autrefois Socrate, celui qui va mourir parle à celui qu’il croit laisser à la vie.

Ce dialogue testamentaire de deux grandes âmes qui semblent comme deux flambeaux prêts à s’éteindre, ayant réuni toute leur lumière dans un suprême et fugitif éclat, est d’une grandeur qui éblouit.

… Telle est l’analyse bien succincte de ce livre plein de vigueur, d’enthousiasme et de foi. On y chercherait vainement la marque d’un déclin, la fatigue d’une longue carrière. Comme George Sand, Victor Hugo est encore Victor Hugo tout entier, le grand et admirable poète. Jamais il n’a plané plus haut au-dessus des misérables instincts, des fureurs bestiales, des égoïsmes étroits, de tout ce qui déshonore l’âme humaine et la rejette dans des limbes éternelles.

Des hommes faits grands par de grandes passions, des cœurs élargis par de nobles souffrances, voilà ce qu’il nous montre sans cesse dans ces pages élevées et profondes.

Conférence à la salle des Capucines.
Maurice Talmeyr.
1874

… Il y a trois mois, un livre paraissait en même temps en Europe et en Amérique. Un roman était l’entretien de tous les peuples qui savent lire. Il est vrai qu’il venait de la France, et que, signé d’un grand nom, il parlait d’une grande époque.

À mesure qu’on avance dans ces trois volumes, on est, à la fois, charmé et bouleversé. L’extrême grandeur et l’extrême grâce y mêlent leurs rayonnements. Parfois, l’épopée tout entière se fond en un sourire, comme l’éclair concis d’une épée se dissoudrait en un rayon de soleil. L’œuvre a la simplicité d’une tragédie antique. Trois grandes figures, animées d’âmes différentes, se détachent sur un fond de guerre, au-dessus d’un berceau où dorment des enfants. Elles incarnent trois idées : Lantenac est la royauté, Cimourdain la révolution, et Gauvain l’humanité. Les enfants, victimes innocentes des catastrophes, sourient à toutes les choses sombres qui les entourent. Un instant, les trois puissantes figures semblent prêtes se réconcilier pour les bénir ; l’une d’elles se détourne, la plus tragique, celle de Cimourdain. Tel est le tableau d’ensemble qu’offre Quatrevingt-treize. Le poète n’y a pas mis d’amour. On démêle une intention profonde dans cette rigidité. L’œuvre est vierge comme la déesse de la Révolution.

Il s’est établi une sorte d’intimité entre l’Océan et le génie de Victor Hugo. Les drames de la mer tiennent une place considérable dans ses derniers romans. On y sent la contemplation passionnée de cette immensité perfide ou tumultueuse à laquelle Othello compare Desdemone. En même temps qu’il nuance la masse des flots avec une puissance de dieu, il en observe tous les détails. On pourrait presque dire qu’il regarde le vieux Neptune au microscope, Quatrevingt-treize renferme une des plus belles marines littéraires que le poète nous ait données.

… Nous venons de voir comment Victor Hugo sait jeter un drame dans le tumulte de la mer. Voyons maintenant comment il sait peindre les enfants. Le grand poète se penche tour à tour sur l’océan où il voit l’infini et sur les berceaux où il voit l’avenir.

Quel merveilleux sujet de tableau pour un artiste que le chapitre intitulé : Le bois de la Saudraie ! Un bataillon républicain, le bataillon du Bonnet-rouge, fouille un bois regorgeant des plus délicieuses végétations et, comme dit le poète, tout rempli de ténèbres vertes. On est en Vendée, au plus doux du printemps, et dans le feu de la guerre civile ce bois est le plus terrible lieu qu’on puisse rêver.

… Tout est calme, ombreux, charmant. Les vagues profondeurs du bois de la Saudraie donnent l’illusion des transparences sous-marines et rappellent la caverne de la pieuvre dans les Travailleurs de la mer. Douces et mystérieuses demeures hantées, l’une par un poulpe hideux, l’autre par la guerre, toutes les deux par une hydre.

… En tête des soldats attroupés là se trouve Radoub, figure digne, comme celle de Gavroche, de rester proverbiale.

… L’interrogatoire que Radoub fait subir à la mère touche à la fois à la comédie et à