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Page:Hugo - Actes et paroles - volume 2.djvu/164

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AVANT L’EXIL. — CONGRÈS DE LA PAIX.

les nations européennes dépensent tous les ans, pour l’entretien de leurs armées, une somme qui n’est pas moindre de deux milliards, et qui, si l’on y ajoute l’entretien du matériel des établissements de guerre, s’élève à trois milliards. Ajoutez-y encore le produit perdu des journées de travail de plus de deux millions d’hommes, les plus sains, les plus vigoureux, les plus jeunes, l’élite des populations, produit que vous ne pouvez pas évaluer à moins d’un milliard, et vous arrivez à ceci que les armées permanentes coûtent annuellement à l’Europe quatre milliards. Messieurs, la paix vient de durer trente-deux ans, et en trente-deux ans la somme monstrueuse de cent vingt-huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre! (Sensation.) Supposez que les peuples d’Europe, au lieu de se défier les uns des autres, de se jalouser, de se haïr, se fussent aimés ; supposez qu’ils se fussent dit qu’avant même d’être français, ou anglais, ou allemands, on est homme, et que, si les nations sont des patries, l’humanité est une famille. Et maintenant, cette somme de cent vingt-huit milliards, si follement et si vainement dépensée par la défiance, faites-la dépenser par la confiance ! ces cent vingt-huit milliards donnés à la haine, donnez-les à l’harmonie ! ces cent vingt-huit milliards donnés à la guerre, donnez-les à la paix ! (applaudissements) donnez-les au travail, à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts, et représentez-vous le résultat. Si, depuis trente-deux ans, cette gigantesque somme de cent vingt-huit milliards avait été dépensée de cette façon, l’Amérique, de son côté, aidant l’Europe, savez-vous ce qui serait arrivé ? La face du monde serait changée ! les isthmes seraient coupés, les fleuves creusés, les montagnes percées, les chemins de fer couvriraient les deux continents, la marine marchande du globe aurait centuplé, et il n’y aurait plus nulle part ni landes ni jachères, ni marais ; on bâtirait des villes là où il n’y a encore que des solitudes ; on creuserait des ports là où il n’y a encore que des écueils ; l’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme ; la richesse jaillirait de toutes parts de toutes les veines du globe sous le travail de tous les hommes, et la misère s’évanouirait ! Et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la