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Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 1.djvu/93

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Donc cette ville était toute bâtie en briques.
On y voyait des tours, des bazars, des fabriques,
Des arcs, des palais pleins de luths mélodieux,
Et des monstres d’airain qu’on appelait les dieux.
Cette ville était gaie et barbare ; ses places
Faisaient par leurs gibets rire les populaces ;
On y chantait des chœurs pleins d’oubli, l’homme étant
L’ombre qui jette un souffle et qui dure un instant ;
De claires eaux luisaient au fond des avenues ;
Et les reines du roi se baignaient toutes nues
Dans les parcs où rôdaient des paons étoilés d’yeux ;
Les marteaux, au dormeur nonchalant odieux,
Sonnaient, de l’aube au soir, sur les noires enclumes ;
Les vautours se posaient, fouillant du bec leurs plumes,
Sur les temples, sans peur d’être chassés, sachant
Que l’idole féroce aime l’oiseau méchant ;
Le tigre est bien venu près de l’hydre ; et les aigles
Sentent qu’ils n’ont jamais enfreint aucunes règles,
Quand le sang coule auprès des autels radieux,
En venant partager le meurtre avec les dieux.
L’autel du temple était d’or pur, que rien ne souille,
Le toit était en cèdre et, de peur de la rouille,
Au lieu de clous avait des chevilles de bois.
Jour et nuit les clairons, les cistres, les hautbois,
De crainte que le Dieu farouche ne s’endorme,
Chantaient dans l’ombre. Ainsi vivait la ville énorme.
Les femmes y venaient pour s’y prostituer.
Mais un jour l’Océan se mit à remuer ;