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Page:Hugo - Les Châtiments (Hetzel, 1880).djvu/425

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L’un boiteux, l’autre sourd, l’autre un œil sous l’emplâtre,
L’autre raclant sa plaie avec un vieux tesson.
L’honnête homme indigné rentrait dans sa maison
Quand ce jongleur passait avec cette séquelle.
Dans une fête, un jour, je ne sais plus laquelle,
Cet homme prit un fouet, et criant, déclamant,
Il se mit à chasser, mais fort brutalement,
Des marchands patentés, le fait est authentique,
Très braves gens tenant sur le parvis boutique,
Avec permission, ce qui, je crois, suffit,
Du clergé qui touchait sa part de leur profit.
Il traînait à sa suite une espèce de fille.
Il allait pérorant, ébranlant la famille,
Et la religion, et la société ;
Il sapait la morale et la propriété ;
Le peuple le suivait, laissant les champs en friches ;
C’était fort dangereux. Il attaquait les riches,
Il flagornait le pauvre, affirmant qu’ici-bas
Les hommes sont égaux et frères, qu’il n’est pas
De grands et de petits, d’esclaves ni de maîtres,
Que le fruit de la terre est à tous ; quant aux prêtres,
Il les déchirait ; bref, il blasphémait. Cela
Dans la rue. Il contait toutes ces horreurs-là
Aux premiers gueux venus, sans cape et sans semelles.
Il fallait en finir, les lois étaient formelles,
On l’a crucifié. —

On l’a crucifié. —Ce mot, dit d’un air doux,
Me frappa. Je lui dis : Mais qui donc êtes-vous ?