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Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/206

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Nous pouvions fuir à tire-d’ailes,
Et plonger dans cette épaisseur
D’où la création découle,
Où flotte, vit, meurt, brille et roule
L’astre imperceptible à la foule,
Incommensurable au penseur ;

Si nous pouvions franchir ces solitudes mornes ;
Si nous pouvions passer les bleus septentrions ;
Si nous pouvions atteindre au fond des cieux sans bornes,
Jusqu’à ce qu’à la fin, éperdus, nous voyions,
Comme un navire en mer croît, monte et semble éclore,
Cette petite étoile, atome de phosphore,
Devenir par degrés un monstre de rayons ;

S’il nous était donné de faire
Ce voyage démesuré,
Et de voler, de sphère en sphère,
À ce grand soleil ignoré ;
Si, par un archange qui l’aime,
L’homme aveugle, frémissant, blême,
Dans les profondeurs du problème,
Vivant, pouvait être introduit ;
Si nous pouvions fuir notre centre,
Et, forçant l’ombre où Dieu seul entre,
Aller voir de près dans leur antre
Ces énormités de la nuit ;

Ce qui t’apparaîtrait te ferait trembler, ange !
Rien, pas de vision, pas de songe insensé,
Qui ne fût dépassé par ce spectacle étrange,
Monde informe, et d’un tel mystère composé
Que son rayon fondrait nos chairs, cire vivante,
Et qu’il ne resterait de nous dans l’épouvante
Qu’un regard ébloui sous un front hérissé !