Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/268

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N’ayant pu la sauver, il a voulu mourir.
Sois béni, toi qui, jeune, à l’âge où vient s’offrir
L’espérance joyeuse encore,
Pouvant rester, survivre, épuiser tes printemps,
Ayant devant les yeux l’azur de tes vingt ans
Et le sourire de l’aurore,

À tout ce que promet la jeunesse, aux plaisirs,
Aux nouvelles amours, aux oublieux désirs
Par qui toute peine est bannie,
À l’avenir, trésor des jours à peine éclos,
À la vie, au soleil, préféras sous les flots
L’étreinte de cette agonie !

Oh ! quelle sombre joie à cet être charmant
De se voir embrassée au suprême moment
Par ton doux désespoir fidèle !
La pauvre âme a souri dans l’angoisse, en sentant
À travers l’eau sinistre et l’effroyable instant
Que tu t’en venais avec elle !

Leurs âmes se parlaient sous les vagues rumeurs.
— Que fais-tu ? disait-elle. — Et lui disait : — Tu meurs ;
Il faut bien aussi que je meure ! —
Et, les bras enlacés, doux couple frissonnant,
Ils se sont en allés dans l’ombre ; et, maintenant,
On entend le fleuve qui pleure.

Puisque tu fus si grand, puisque tu fus si doux
Que de vouloir mourir, jeune homme, amant, époux,
Qu’à jamais l’aube en ta nuit brille !
Aie à jamais sur toi l’ombre de Dieu penché !
Sois béni sous la pierre où te voilà couché !
Dors, mon fils, auprès de ma fille !