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Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/295

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Oh ! qu’est-ce que le sort a fait de tout ce rêve ?
Où donc a-t-il jeté l’humble cœur qui s’élève,
Le foyer réchauffant,
Ô Louise, et la vierge, et le vieillard prospère,
Et tous ces vœux profonds, de moi pour votre père,
De vous pour mon enfant ?

Où sont-ils, les amis de ce temps que j’adore ?
Ceux qu’a pris l’ombre et ceux qui ne sont pas encore
Tombés aux flots sans bords ;
Eux, les évanouis, qu’un autre ciel réclame,
Et vous, les demeurés, qui vivez dans mon âme,
Mais pas plus que les morts !

Quelquefois je voyais, de la colline en face,
Mes quatre enfants jouer, tableau que rien n’efface !
Et j’entendais leurs chants ;
Ému, je contemplais ces aubes de moi-même
Qui se levaient là-bas dans la douceur suprême
Des vallons et des champs.

Ils couraient, s’appelaient dans les fleurs ; et les femmes
Se mêlaient à leurs jeux comme de blanches âmes ;
Et tu riais, Armand !
Et, dans l’hymen obscur qui sans fin se consomme,
La nature sentait que ce qui sort de l’homme
Est divin et charmant.

Où sont-ils ? Mère, frère, à son tour chacun sombre.
Je saigne et vous saignez. Mêmes douleurs ! même ombre !
Ô jours trop tôt décrus !
Ils vont se marier ; faites venir un prêtre ;
Qu’il revienne ! ils sont morts. Et, le temps d’apparaître,
Les voilà disparus !