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Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/36

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Causons.Quand je sortis du collège, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d’enfant blême
Et grave, au front penchant, aux membres appauvris,
Quand, tâchant de comprendre et de juger, j’ouvris
Les yeux sur la nature et sur l’art, l’idiome,
Peuple et noblesse, était l’image du royaume ;
La poésie était la monarchie ; un mot
Était un duc et pair, ou n’était qu’un grimaud ;
Les syllabes pas plus que Paris et que Londre
Ne se mêlaient ; ainsi marchent sans se confondre
Piétons et cavaliers traversant le pont Neuf ;
La langue était l’état avant quatrevingt-neuf ;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ;
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versaille aux carrosses du roi ;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois ; quelques-uns aux galères
Dans l’argot ; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,
Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ;
Populace du style au fond de l’ombre éparse ;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqué d’une F ;
N’exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers ;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire : Qu’il s’en aille ;
Et Voltaire criait : Corneille s’encanaille !
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins ; je m’écriai : Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ?
Et sur l’Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,