Aller au contenu

Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/373

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et s’efface… — et l’horreur effare nos pupilles
Quand nous entrevoyons les arches et les piles
De ce pont monstrueux.

Ô sort ! obscurité ! nuée ! on rêve, on souffre.
Les êtres, dispersés à tous les vents du gouffre,
Ne savent pas ce qu’ils font.
Les vivants sont hagards. Les morts sont dans leurs couches.
Pendant que nous songeons, des pleurs, gouttes farouches,
Tombent du noir plafond.


XIV


On brave l’immuable ; et l’un se réfugie
Dans l’assoupissement, et l’autre dans l’orgie.
Cet autre va criant :
— À bas vertu, devoir et foi ! l’homme est un ventre ! —
Dans ce lugubre esprit, comme un tigre en son antre,
Habite le néant.

Écoutez-le : — Jouir est tout. L’heure est rapide.
Le sacrifice est fou, le martyre est stupide ;
Vivre est l’essentiel.
L’immensité ricane et la tombe grimace.
La vie est un caillou que le sage ramasse
Pour lapider le ciel. —

Il souffle, forçat noir, sa vermine sur l’ange.
Il est content, il est hideux ; il boit, il mange ;
Il rit, la lèvre en feu,
Tous les rires que peut inventer la démence ;
Il dit tout ce que peut dire en sa haine immense
Le ver de terre à Dieu.