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Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/463

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De chaque globe il tombe un flot vertigineux
D’âmes, d’esprits malsains et d’être vénéneux,
Flot que l’éternité voit sans fin se répandre.
Chaque étoile au front d’or qui brille, laisse pendre
Sa chevelure d’ombre en ce puits effrayant.
Âme immortelle, vois, et frémis en voyant :
Voilà le précipice exécrable où tu sombres.


*


Oh ! qui que vous soyez, qui passez dans ces ombres,
Versez votre pitié sur ces douleurs sans fond !
Dans ce gouffre, où l’abîme en l’abîme se fond,
Se tordent les forfaits, transformés en supplices,
L’effroi, le deuil, le mal, les ténèbres complices,
Les pleurs sous la toison, le soupir expiré
Dans la fleur, et le cri dans la pierre muré !
Oh ! qui que vous soyez, pleurez sur ces misères !
Pour Dieu seul, qui sait tout, elles sont nécessaires ;
Mais vous pouvez pleurer sur l’énorme cachot
Sans déranger le sombre équilibre d’en haut !
Hélas ! hélas ! hélas ! tout est vivant ! tout pense !
La mémoire est la peine, étant la récompense.

Oh ! comme ici l’on souffre et comme on se souvient !
Torture de l’esprit que la matière tient !
La brute et le granit, quel chevalet pour l’âme !
Ce mulet fut sultan, ce cloporte était femme.
L’arbre est un exilé, la roche est un proscrit.
Est-ce que, quelque part, par hasard, quelqu’un rit
Quand ces réalités sont là, remplissant l’ombre ?
La ruine, la mort, l’ossement, le décombre,
Sont vivants. Un remords songe dans un débris.
Pour l’œil profond qui voit, les antres sont des cris.
Hélas ! le cygne est noir, le lys songe à ses crimes ;
La perle est nuit ; la neige est la fange des cimes ;