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Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/82

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A beau vous bougonner tout bas : — Vous avez tort ;
Vous vous ferez tousser si vous criez si fort ;
Pour quelques nouveautés sauvages et fortuites,
Monsieur, ne troublez pas la paix de vos pituites !
Ces gens-ci vont leur train ; qu’est-ce que ça vous fait ?
Ils ne trouvent que cendre au feu qui vous chauffait.
Pourquoi déclarez-vous la guerre à leur tapage ?
Ce siècle est libéral comme vous fûtes page.
Fermez bien vos volets, tirez bien vos rideaux,
Soufflez votre chandelle, et tournez-lui le dos !
Qu’est l’âme du vrai sage ? Une sourde-muette.
Que vous importe, à vous, que tel ou tel poëte,
Comme l’oiseau des cieux, veuille avoir sa chanson ;
Et que tel garnement du Pinde, nourrisson
Des Muses, au milieu d’un bruit de corybante,
Marmot sombre, ait mordu leur gorge un peu tombante ? —

Vous n’en tenez nul compte, et vous n’écoutez rien.
Voltaire, en vain, grand homme et peu voltairien,
Vous murmure à l’oreille : — Ami, tu nous assommes !
— Vous écumez ! — partant de ceci : que nous, hommes
De ce temps d’anarchie et d’enfer, nous donnons
L’assaut au grand Louis juché sur vingt grands noms ;
Vous dites qu’après tout nous perdons notre peine,
Que haute est l’escalade et courte notre haleine ;
Que c’est dit, que jamais nous ne réussirons ;
Que Batteux nous regarde avec ses gros yeux ronds,
Que Tancrède est de bronze et qu’Hamlet est de sable ;
Vous déclarez Boileau perruque indéfrisable ;
Et, coiffé de lauriers, d’un coup d’œil de travers
Vous indiquez le tas d’ordures de nos vers,
Fumier où la laideur de ce siècle se guinde,
Au pauvre vieux bon goût, ce balayeur du Pinde ;
Et même, allant plus loin, vaillant, vous nous criez :
— Je vais vous balayer moi-même ! —
— Je vais vous balayer moi-même ! —Balayez.


Paris, novembre 1834.