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Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/148

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gothique qui existe encore. Le paysage, de ma fenêtre, est ravissant. J’ai devant moi, au pied d’une haute colline qui me laisse à peine voir une étroite tranche de ciel, une belle tour du treizième siècle du faîte de laquelle s’élance, complication charmante que je n’ai vue qu’ici, une autre tour plus petite, octogone, à huit frontons, couronnée d’un toit conique ; à ma droite, le Rhin et le joli village blanc de Leutersdorf, entrevu parmi les arbres ; à ma gauche, les quatre clochers byzantins d’une magnifique église du onzième siècle, deux au portail, deux à l’abside. Les deux gros clochers du portail sont d’un profil cahoté, étrange, mais grand ; ce sont des tours carrées surmontées de quatre pignons aigus, triangulaires, portant dans leurs intervalles quatre losanges ardoisés qui se rejoignent par leurs sommets et forment la pointe de l’aiguille. Sous ma fenêtre jasent en parfaite intelligence des poules, des enfants et des canards. Au fond, là- bas, des paysans grimpent dans les vignes. — Au reste, il paraît que ce tableau n’a point paru suffisant à l’homme de goût qui a décoré la chambre où j’habite ; à côté de ma croisée il en a cloué un autre, comme pendant sans doute ; c’est une image représentant deux grands chandeliers posés à terre avec cette inscription : Vue de Paris. À force de me creuser la tête, j’ai découvert qu’en effet c’était une vue de la barrière du Trône. — La chose est ressemblante.

Le jour de mon arrivée, j’ai visité l’église, belle à l’intérieur, mais hideusement badigeonnée. L’empereur Valentinien et un enfant de Frédéric Barberousse ont été enterrés là. Il n’en reste aucun vestige. Un beau Christ au tombeau en ronde bosse, figures de grandeur naturelle, du quinzième siècle ; un chevalier du seizième, en demi-relief, adossé au mur ; dans un grenier, un tas de figurines coloriées, en albâtre gris, débris d’un mausolée quelconque, mais admirable, de la renaissance ; c’est là tout ce qu’un sonneur bossu et souriant a pu me faire voir pour le petit morceau de cuivre argenté qui représente ici trente sous.

Maintenant il faut que je vous raconte une chose réelle, une rencontre plutôt qu’une aventure, qui a laissé dans mon esprit l’impression voilée et sombre d’un rêve.