Aller au contenu

Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne faut pas juger des gouffres sur l’apparence.

Un peu plus loin que la Bank, dans un tournant des plus sauvages, s’enfonce et se précipite à pic dans le Rhin, avec ses mille assises de granit qui lui donnent l’aspect d’un escalier écroulé, le fabuleux rocher de Lurley. Il y a là un écho célèbre qui répète, dit-on, sept fois tout ce qu’on lui dit ou tout ce qu’on lui chante.

Si je ne craignais pas d’avoir l’air d’un homme qui cherche à nuire à la réputation des échos, j’avouerais que, pour moi, l’écho n’a jamais été au delà de cinq répétitions.

Il est probable que l’oréade de Lurley, jadis courtisée par tant de princes et de comtes mythologiques, commence à s’enrouer et à s’ennuyer. Cette pauvre nymphe n’a plus aujourd’hui qu’un seul adorateur, lequel s’est creusé vis-à-vis d’elle, sur l’autre bord du Rhin, deux petites chambres dans les rochers, et passe sa journée à lui jouer du cor de chasse et à lui tirer des coups de fusil. Cet homme, qui fait travailler l’écho et qui en vit, est un vieux et brave hussard français.

Du reste, pour un promeneur qui ne s’y attend pas, l’effet de l’écho de Lurley est extraordinaire. Un batelet qui traverse le Rhin à cet endroit-là avec ses deux petits avirons y fait un bruit formidable. En fermant les yeux, on croirait entendre passer une galère de Malte avec ses cinquante grosses rames remuées chacune par quatre forçats enchaînés.

En descendant du Chat, avant de quitter Saint-Goarshausen, il faut aller voir, dans une vieille rue parallèle au Rhin, une charmante maison de la renaissance allemande, fort dédaignée de ses habitants, bien entendu. Puis on tourne à droite, on passe un pont de torrent, et l’on s’enfonce, au bruit des moulins à eau, dans la « Vallée-Suisse », superbe ravin presque alpestre formé par la haute colline de Petersberg et par l’une des arrière-croupes du Lurley.

C’est une délicieuse promenade que la Vallée-Suisse. On va, on vient, on visite les villages d’en haut, on plonge dans d’étroites gorges tellement sombres et désertes, que j’ai vu, dans l’une d’elles, la terre fraîchement remuée et le gazon bouleversé par la hure d’un sanglier. Ou bien on