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Page:Hume - Œuvres philosophiques, tome 5, 1788.djvu/232

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Essais

vice & la vertu, alors on se fait une idée de la morale, on se forme des notions générales des actions, on attend des hommes telle conduite dans telles positions, on prononce qu’une action est conforme à la regle abstraite que nous nous sommes faite, & qu’une autre la contredit, & les mouvemens particuliers de l’amour-propre sont souvent étouffés, ou modérés par ces principes universels[1].

  1. Il paroît constaté par la raison & par l’expérience qu’un sauvage grossier & barbare regle principalement son amour & sa haine sur les idées d’utilité & d’injure particulières. Il n’a que de très-foibles notions d’un systême ou d’une regle générale de conduite. Il hait de tout son cœur l’homme qui se trouve vis-à-vis de lui dans un combat, non-seulement pour le moment présent, ce qui est inévitable, mais même pour toujours ; sa haine n’est satisfaite que lorsque sa vengeance l’a porté aux plus cruels excès. Nous, au contraire, qui sommes accoutumés à vivre en société, qui donnons plus d’étendue à nos réflexions, nous considérons que cet homme sert sa patrie, & la société dont il est membre, que nous en ferions tout autant à sa place ; qu’en général la société est fondée sur ces maximes ; ainsi par ces suppositions & ces vues nous modérons jusques à un certain point, la violence de nos passions particulieres, & quoique la plus grande partie de notre amitié ou de notre aversion