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Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/165

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En attendant qu’il se décidât à séduire l’acrobate, à entrer, si faire se pouvait, dans la réalité même, il confirmait ses rêves, en posant la série de ses propres pensées sur les lèvres inconscientes de la femme, en relisant ses intentions qu’il plaçait dans le sourire immuable et fixe de l’histrionne tournant sur son trapèze.

Un beau soir, il se résolut à dépêcher les ouvreuses. Miss Urania crut nécessaire de ne point céder, sans une préalable cour ; néanmoins elle se montra peu farouche, sachant par les ouï-dire, que des Esseintes était riche et que son nom aidait à lancer les femmes.

Mais aussitôt que ses vœux furent exaucés, son désappointement dépassa le possible. Il s’était imaginé l’Américaine, stupide et bestiale comme un lutteur de foire, et sa bêtise était malheureusement toute féminine. Certes, elle manquait d’éducation et de tact, n’avait ni bon sens ni esprit, et elle témoignait d’une ardeur animale, à table, mais tous les sentiments enfantins de la femme subsistaient en elle ; elle possédait le caquet et la coquetterie des filles entichées de balivernes ; la transmutation des idées masculines dans son corps de femme n’existait pas.

Avec cela, elle avait une retenue puritaine, au lit et aucune de ces brutalités d’athlète qu’il souhaitait tout en les craignant ; elle n’était pas sujette comme il en avait, un moment, conçu l’espoir, aux perturbations de son sexe. En sondant bien le vide de ses convoitises,