Aller au contenu

Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pour toute réponse des Esseintes se frotta les mains, et s’installa devant une bibliothèque vitrée où un jeu de chaussettes de soie était disposé en éventail ; il hésitait sur la nuance, puis, rapidement, considérant la tristesse du jour, le camaïeu morose de ses habits, songeant au but à atteindre, il choisit une paire de soie feuille-morte, les enfila rapidement, se chaussa de brodequins à agrafes et à bouts découpés, revêtit le complet, gris-souris, quadrillé de gris-lave et pointillé de martre, se coiffa d’un petit melon, s’enveloppa d’un mac-farlane bleu-lin et, suivi du domestique qui pliait sous le poids d’une malle, d’une valise à soufflets, d’un sac de nuit, d’un carton à chapeau, d’une couverture de voyage renfermant des parapluies et des cannes, il gagna la gare. Là, il déclara au domestique qu’il ne pouvait fixer la date de son retour, qu’il reviendrait dans un an, dans un mois, dans une semaine, plus tôt peut-être, ordonna que rien ne fût changé de place au logis, remit l’approximative somme nécessaire à l’entretien du ménage pendant son absence, et il monta en wagon, laissant le vieillard ahuri, bras ballants et bouche béante, derrière la barrière où s’ébranlait le train.

Il était seul dans son compartiment ; une campagne, indécise, sale, vue telle qu’au travers d’un aquarium d’eau trouble, fuyait à toute volée derrière le convoi que cinglait la pluie. Plongé dans ses réflexions, des Esseintes ferma les yeux.