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Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/201

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étalaient sur des étiquettes en couleur le nom de leur cru, la contenance de leurs flancs, le prix de leur vin, acheté à la pièce, à la bouteille, ou dégusté au verre.

Dans l’allée restée libre entre ces rangées de tonneaux, sous les flammes du gaz qui bourdonnait aux becs d’un affreux lustre peint en gris-fer, des tables couvertes de corbeilles de biscuits Palmers, de gâteaux salés et secs, d’assiettes où s’entassaient des mince-pie et des sandwichs cachant sous leurs fades enveloppes d’ardents sinapismes à la moutarde, se succédaient entre une haie de chaises, jusqu’au fond de cette cave encore bardée de nouveaux muids portant sur leur tête de petits barils, couchés sur le flanc, estampillés de titres gravés au fer chaud, dans le chêne.

Un fumet d’alcool saisit des Esseintes lorsqu’il prit place dans cette salle où sommeillaient de puissants vins. Il regarda autour de lui : ici, les foudres s’alignaient, détaillant toute la série des porto, des vins âpres ou fruiteux, couleur d’acajou ou d’amarante, distingués par de laudatives épithètes : « old port, light delicate, cockburn’s very fine, magnificent old Regina » ; là, bombant leurs formidables abdomens, se pressaient, côte à côte, des fûts énormes renfermant le vin martial de l’Espagne, le xérès et ses dérivés, couleur de topaze brûlée ou crue, le san lucar, le pasto, le pale dry, l’oloroso, l’amontilla, sucrés ou secs.

La cave était pleine ; accoudé sur un coin de table, des Esseintes attendait le verre de porto commandé à