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Page:Huysmans - Certains, 1908.djvu/13

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DU DILETTANTISME

du coin ; choisissez, dans le tas, la plus vidangère des filles ou la baronne la plus en vue, et aussitôt une opinion, assise, voulue, raisonnée, ferme, s’échappera d’eux, à propos d’un livre. Jamais, au grand jamais, personne ne conviendra qu’il est absolument inapte à apprécier un art qui est cependant le plus compliqué, le plus verrouillé, le plus hautain de tous.

Au reste, qui de nous n’a vu parmi les papiers reliés que les bourgeois et les gens du monde appellent « leur bibliothèque » le côte à côte indécent d’un Ohnet et d’un Flaubert, d’un Goncourt et d’un Delpit ? Qui ne s’est délicieusement senti remué, alors que le connaisseur jetait d’un ton négligent : « Moi, vous savez, je suis éclectique, tout m’intéresse, j’ai, là, sans restriction d’écoles, les spécimens d’art les plus divers. » Un jeune gentleman qui dit admirer très sincèrement l’Assommoir d’Emile Zola n’a-t-il pas tout récemment encore exprimé devant moi l’ardent désir que M. Sarcey, le sénile matassin, le cuistre pluvieux du Temps, réunisse enfin en un livre les éjaculations théâtrales de ses lundis !

Eh bien ! ces individus sont des gens à esprit