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Page:Huysmans - Certains, 1908.djvu/191

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MILLET

Céladons les crasseux rustres de son Berri, Millet changeait en d’innocents forçats, en de maladroits rhéteurs, les paysans des environs de Fontainebleau, les gens de la Brie.

Alors qu’il représente un paysan, éreinté, appuyé sur sa houe, regardant devant lui de ses prunelles mortes, il ment, car il est vraiment temps de le dire, à la fin ! — le paysan, exterminé par d’incessants labeurs, le paysan crevant de besoin, hurlant de misère, sur la glèbe, n’existe pas. Soutenir qu’il est heureux, évidemment non, car il faut bien qu’il laboure et qu’il sème, qu’il vendange et qu’il gaule ; mais quoi ! mettez en face de cet homme qui possède ou loue pour quelques sols une chaumière, qui élève parfois une vache ou un porc, toujours des poules, souvent des oies, qui récolte dans un petit jardin des pommes de terre et des choux, mettez un ouvrier de Paris, et voyez la différence. Sans chercher les plus misérables et les plus épuisés des artisans des villes, sans citer les broyeurs de salsepareille aux vomissements incoercibles, les tritureurs de céruse, les amalgameurs de mercure aux entrailles corrodées et aux os mous, prenez un imprimeur dont la pro-