Aller au contenu

Page:Huysmans - Certains, 1908.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
MILLET

lui vient et il la rend avec une énergie qui poigne. L’aurore est, en quelque sorte, pour lui, un armistice conclu entre la terre et l’homme. Voyez sa « Plaine au petit jour, » une plaine abandonnée, avec une herse couchée dans les guérets et une charrue droite se dressant, seule, au-dessus des sillons, alors que tourbillonnent les corbeaux dont les essaims ponctuent de virgules sombres le ciel qui pâlit et lentement s’allume. On dirait de ces terres soulevées, déchirées, la veille, par la marche des socs, d’une région bouleversée par d’exterminatrices luttes. La nuit a mis forcément fin au combat ; — la trêve existe, — mais il semble qu’on va maintenant enlever les morts, et que, dès le lever complet de l’astre, la bataille va reprendre, muette, entre le paysan tenace et la terre dure.

Un autre pastel « la Plaine » donne cette même impression douloureuse et hautaine ; c’est une plaine immense, couchée sous un ciel que tailladent à l’horizon des lames de feux blêmes ; et déjà tout au loin, l’homme entre en scène, car l’on aperçoit un vague troupeau suivi d’un berger dont la haute silhouette a je ne sais quelle tournure hostile. Au fond, c’est toujours la