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Page:Huysmans - Certains, 1908.djvu/25

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GUSTAVE MOREAU

bave de convoitise et prie ; quand un pays avarié par une politique accessible à tous, suppure par tous les abcès de ses réunions et de sa presse ; quand l’art méprisé se ravale de lui-même au niveau de l’acheteur ; quand l’œuvre artiste, pure, est universellement considérée comme le crime de lèse-majesté d’un vieux monde, soûlé de lieux communs et d’ordures, il arrive fatalement que quelques êtres, égarés dans l’horreur de ces temps, rêvent à l’écart et que de l’humus de leurs songes jaillissent d’inconcevables fleurs d’un éclat vibrant, d’un parfum fiévreux et altier, si triste ! — La théorie du milieu, adaptée par M. Taine à l’art est juste — mais juste à rebours, alors qu’il s’agit de grands artistes, car le milieu agit sur eux alors par la révolte, par la haine qu’il leur inspire ; au lieu de modeler, de façonner l’âme à son image, il crée dans d’immenses Boston, de solitaires Edgar Poe ; il agit par retro, crée dans de honteuses Frances des Baudelaire, des Flaubert, des Goncourt, des Villiers de l’Isle Adam, des Gustave Moreau, des Redon et des Rops, des êtres d’exception, qui retournent sur les pas des siècles et se jettent, par dégoût des