Aller au contenu

Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à se quitter, à s’évader de la terre, à atteindre, sur le seuil de l’Eternité, l’inconcevable Epoux, ou bien, impuissante à prendre son élan, demeure-t-elle l’âme rivée au sol ?

Evidemment, on se la figure, la face tendue, les mains jointes, s’appelant, se concentrant au fond d’elle-même, se réunissant pour mieux s’effuser et on se l’imagine aussi malade, à bout de forces, tentant dans un corps qui grelotte de s’allumer l’âme. Mais qui sait si, certaines nuits, elle y arrive ?

Ah ! Ces pauvres veilleuses aux huiles épuisées, aux flammes presque mortes qui tremblent dans l’obscurité du sanctuaire, qu’est-ce que le bon Dieu en fait ?

Enfin il y a la famille qui assistait à cette prise d’habit et si l’enfant m’enthousiasme, je ne puis m’empêcher de plaindre la mère. Songez donc, si sa fille mourait, elle l’embrasserait, elle lui parlerait peut-être ; ou bien alors, si elle ne la reconnaissait plus, ce ne serait pas de son plein gré du moins ; et, ici, ce n’est plus le corps, c’est l’âme même de sa fille qui meurt devant elle. Exprès, son enfant ne la reconnaît plus ; c’est la fin méprisante d’une affection. Avouez que pour une mère c’est tout de même dur !

— Oui, mais cette soi-disant ingratitude, acquise au prix de Dieu sait quelles luttes, n’est — la vocation divine mise à part — qu’une plus équitable répartition de l’amour humain. Pensez que cette élue devient le bouc émissaire des péchés commis ; ainsi qu’une lamentable Danaïde, intarissablement, elle versera l’offrande de ses mortifications et de ses prières, de ses veilles et de ses jeûnes, dans la tonne sans fond des offenses et des fau-