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Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/192

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    deux anges, pour s’indigner, tonner et tempêter, au nom de la décence, et pour interdire l’entrée de la Cathédrale à une pareille obscénité. (Je ne brode pas, j’écris devant les preuves de tout cela). L’occurrence était inattendue, la conjecture épineuse. Que faire, pour contenter à la fois l’ombrageux artiste et le vétillard archiprêtre ? Un intelligent ami d’Ingres intervint alors. C’était probablement Gilibert ou Debia. Il découpa fort proprement trois feuilles de vigne, dans une feuille de papier doré, et les plaça aux bons endroits, moyennant quoi le tableau fut admis à la Cathédrale, mais placé dans la chapelle de la Vierge, en plein soleil.

    » Les amateurs, qui ne voyaient pas le danger, se consolèrent en attendant la chute des feuilles qui ne tarda pas à se produire, au grand scandale du pudibond archiprêtre. Que se passa-t-il alors ? Si étrange que cela paraisse, à l’Évêché et à la Fabrique on n’a pas voulu me le dire. C’était donc assez grave. Il résulte de la lettre d’Ingres à l’Évêque qu’on lira plus loin, que le soin de faire disparaître les trois malencontreuses pirrettes ait entraîné, sinon à une mutilation véritable, du moins à un barbouillage quelconque. Pourquoi, sans cela, Ingres eût-il ensuite désigné Gilibert et Debia pour remettre son œuvre dans l’état primitif ? Quoi qu’il en soit, ces mêmes amis dénoncèrent la chose à l’artiste, qui se fâcha très fort. Des lettres aigre-douces furent échangées, surtout quand les mêmes officieux eurent raconté le péril que le soleil faisait courir au tableau. C’est alors qu’Ingres exigea que celui-ci fût enlevé de la fatale place d’honneur qu’il occupait et relégué dans la sacristie où, du moins, une heure par jour, — à 1 heure de l’après-midi, — il jouirait d’un éclairage convenable, sans risquer à se cuire, comme il ne l’avait déjà que trop fait. Là, du moins, on pourrait le débarrasser des malencontreuses feuilles de vigne qui avaient tant scandalisé quelques prêtres fanatiques.

    » Ce fut alors qu’Ingres écrivit à l’évêque la lettre dont je vous ai transmis la copie (1). Malheureusement, la peinture avait eu déjà le temps de souffrir gravement de l’action directe d’un soleil trop souvent torride. Quels qu’aient été les soins de Gilibert et de Debia pour réparer le mal, les couleurs ont été désaccordées, des craquelures ont enlevé toute transparence à certaines parties, surtout aux glacis des robes des anges relevant les rideaux. »

    (1) Voir cette lettre, page 188.