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Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/355

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encore à distraire le maître d’une œuvre que le monde et l’histoire attendent et qui, ainsi ménagée, sera prête, en moins d’un an, à sortir de ce sanctuaire de l’art et à aller, droit au Louvre, recevoir l’hommage que lui réserveront apparemment la Cour et la Ville.

Exposé seulement en décembre 1827. l’Apothéose d’Homère ne recueillit que de l’indifférence dans cette IXe salle du Louvre, où Delacroix était venu pourtant le voir, en dépit d’Ingres, qui, apprenant la visite de son romantique rival, avait fait ouvrir les fenêtres en disant : « Ça sent le soufre ! » Moins déférent encore envers cette œuvre si classique du maître, M. de Korbin avait même négligé de présenter Ingres à Charles X pendant la visite officielle du roi dans cette salle. Nouvel Achille, vulnérable seulement au talon qui servirait à notre continuateur d’Homère pour fouler aux pieds cette passagère défaite, ne restait-il pas à cet Ingres indomptable sa colère et ses Grecs pour rentrer sous la tente et y recomposer une autre Iliade ? En se remettant à dessiner et à peindre de ces simples portraits si supérieurement exécutés et que pourtant il dédaignait, pour sa passion de l’épopée dont cet épisodier correct rêvait en vain l’enfantement, Ingres, magistral professeur de la ligne probe, n’avait-il pas mieux à faire que de déformer la tragique Clio en la fécondant ? Et l’idyllique Briséis n’irait-elle pas plus harmonieusement au bras sûr de cet amant des formes idéales, par les chemins fleuris du vrai, jusqu’à l’immortalité qui récompensera la probité du plus honnête et du moins imaginatif des maîtres, — le Dessin ferme donnant le bras à la chancelante Couleur ?

B. d’A.