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Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/80

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— Il est sorti seul, roi, dit-il.

L’Américain eut un sourire joyeux.

— Allons, je commence à croire que c’est un brave garçon, fit-il entre ses dents… Un instrument dont on se sert pour le briser ensuite… Mais il aura l’ami… Je voudrais que l’œuvre de justice ne coûtât pas la vie à des innocents.

Puis, semblant chasser une pensée inopportune :

— Écoute, tu le désigneras aux autres… comme il est convenu, n’est-ce pas ? Les quais sont l’endroit le plus favorable… C’est aussi mon chemin rationnel, puisque je serai censé sortir du ministère de la Marine.

— Bien, roi, c’est tout ?

— Oui… N’oubliez pas les poches.

Il pivota sur ses talons. À grands pas, il descendit le boulevard Malesherbes, gagna les Champs-Élysées par la rue d’Astorg, traversa l’avenue, le Cours-la-Reine et se posta enfin un peu en aval du pont de la Concorde, semblant attendre.

Un quart d’heure s’écoula ainsi ; le gamin du boulevard de Courcelles se dressa à ses côtés.

— Ils viennent, roi… Mr. Chazelet se dirige vers le quai longeant la terrasse des Tuileries.

— Merci… va les retrouver.

Le petit s’éloigna en courant.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cependant, le marquis déambulait sans se presser, ne portant aucune attention au chemin parcouru.

Par le boulevard Malesherbes et la rue Royale, il parvint à la place de la Concorde, la coupa diagonalement et s’engagea enfin sur le quai des Tuileries.

À cette heure de la nuit, les tramways ayant cessé de circuler, c’était le désert.

Pierre allait, sans que des passants croisassent sa route. Il ne le remarquait pas, mais il éprouvait inconsciemment une jouissance de cette solitude.

Grâce à elle, rien ne le distrayait de ses pensées.

Confuses, ces pensées. Bonheur d’avoir vu Linérès, de la revoir le soir même de ce jour, car minuit avait sonné depuis longtemps, et aussi une heure du matin. Tristesse des menaces planant sur la jeune fille. Tout cela se mêlait en son cerveau, le remplissant d’un tumulte de bataille et de doux rêves d’avenir.

Rêvant, monologuant parfois, il était parvenu à environ deux cents pas du pont de Solférino, qu’il comptait traverser pour rejoindre le quai d’Orsay et