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Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/143

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L’AÉROPLANE-FANTÔME

Le prince était embarrassé, il cherchait ses mots. Von Karch vint à son secours.

— Je suis très touché de l’ennui que vous manifestez, Excellence. Il me prouve que vous portiez un réel intérêt à ma personne. Aussi, ne veux-je pas vous obliger à exprimer les paroles qui vous déchireraient la gorge. J’ai compris de suite de quoi il retournait, et je vais moi-même vous dire la décision du Conseil. Si je me trompais, vous voudriez bien rectifier.

Donc, il s’agit de Miss Veuve. La publicité, donnée ces temps derniers aux agissements de cet encombrant personnage, gêne grandement nos services d’espionnage, compromet le gouvernement…

— Menace le trône, vous pouvez le dire, s’écria le prince ; car tout cela fait le jeu des ennemis de nos institutions. Les Social-démocrates ont beau jeu dans le désarroi général provoqué par cette insaisissable Miss Veuve.

— En effet ! en effet, murmura l’espion, sans que le sourire disparût de sa physionomie, insaisissable est le mot.

— Plus encore que vous ne l’imaginez. Cet être inconnu semble avoir la faculté de passer à travers les murs. Ce matin encore, j’ai trouvé sur le rebord de ma fenêtre une lettre menaçante. Tenez, voyez vous-même.

Le chancelier tendit un papier bleuté à Von Karch.

Celui-ci refusant du geste, son interlocuteur le lut à haute voix, en détachant les syllabes :

« Miss Veuve rappelle à S. M. le prince chancelier que si, dans un délai de trois jours, elle n’est pas mise en possession du nom véritable et de la retraite de Von Karch, elle aura le déplaisir de se manifester de façon regrettable. »

Le haut dignitaire marqua une pause, puis doucement :

— Vous serez le premier à comprendre que, dans ces conditions, n’ayant aucun moyen de parer les coups qui nous menacent…

— Le Conseil d’Empire et vous-même, Excellence, vous êtes dit ceci : Von Karch est « brûlé ». Selon l’usage, l’agent démasqué doit se sacrifier. Nous allons assurer la sécurité de l’État en divulguant, par les cent mille voix de la presse, la retraite de ce pauvre Von Karch et le livrer ainsi tout seul à la vengeance de Miss Veuve. Est-ce bien cela ?

— Hélas, croyez que je déplore de sacrifier un agent tel que vous ! Le plus beau fleuron du Service des Renseignements ! Mais nous n’avons pas le choix. L’individu doit s’effacer devant la collectivité. Il est inadmissible, n’est-ce pas, que la Société soit ébranlée…

Le censeur s’arrêta, interloqué par le rire silencieux de l’espion.